Dabaaz, lui & lui-même #interview #2007 #archive

rap ergo sum

 

Année 2007. Dabaaz revient dans le jeu avec un album après l’aventure Triptik. On se souviendra de sa première saisie de microphone en public, elle remonte à bien longtemps, précisément lors d’un concert de The Pharcyde à l’Erotica. Dabaaz n’a pas lâché depuis, il a traversé les époques, haranguer les foules et participé à des projets par dizaines.

Après avoir bouclé plusieurs boucles, il rebondit une nouvelle fois, en solo, et revient sur le devant de la scène avec du brillant et du violet à gogo. Personnage sympathique et attachant, optimiste et cherchant à s’extraire de tous clichés et clivages, le Da n’a pas dit son dernier mot et compte bien polluer l’atmosphère sonore de son rap électrique et dynamique pendant un bon moment.

 

Le début


« Je jouais de la basse en classe de troisième, des reprises d’Hendrix et d’AC/DC, c’est parti en fusion-metal-rap un peu foireuse, mais on a fait quelques dates. C’est à ce moment-là que j’ai écrit mes premiers rap en anglais, pour le chanteur. Mon frère était à fond dans le rap depuis les années 80, donc j’ai toujours baigné dans le Hip-Hop; ensuite j’ai rencontré Drixxxé qui jouait du clavier dans un groupe de funk de son lycée, je lui ai dit « j’aime le rap ! », et il m’a répondu « moi aussi ! »

On a fait quelques répétitions avec un pote qui jouait de la batterie. Ensuite, Drixxxé a eu un sampler, Blackbool est arrivé dans l’histoire, Triptik est né. Les parents de Drixxxé habitaient en Afrique, on a donc investi sa maison pour bosser. C’était 94/96, on était à fond des Sage Po et de La Cliqua. En 97 on a eu un titre sur la compilation Hip-Hop Vibes 3, il y avait aussi LSO, Stomy, Rohff… Notre titre était Je Sais Que La Haine, notre premier rap conscient ! sur les soirées qui dégénèrent et les gens qui sont méchants. On a eu un deal pour faire un album, fin 97. L’ébauche est sorti chez Night & Day, on a fait un clip, on a rencontré Zoxea et les mecs de Boulogne, et de fil en aiguille on a pénétré le rap français. On était content du résultat.

En 99, on a décidé de faire un mini-album avec plusieurs invités : Rocé, Salif, Zoxea… L’euphorie, la jeunesse, on a vendu que dalle mais on s’est fait remarquer. Un an après on a signé avec EastStory, le label de Cut Killer, et on a fait une mixtape avec lui. Il nous a proposé le duo avec Blahzay Blahzay, ensuite embrouille pour le son qu’ils ont piqué à Drixxxé, donc du buzz pour nous. On a enregistré Microphonorama et le titre Bouge Tes Cheveux nous a donné de la visibilité, le clip a tourné sur M6, on a fait une semaine Planète Rap sur Skyrock : on croyait que ça allait être la consécration ! sauf que l’on n’est jamais entrés en playlist sur une radio nationale, ni signé de deal… Mais on est allés plus loin avec la scène, DJ Pone a bossé avec nous, c’était une vraie tournée…

On a sorti un best of en 2002 mixé par DJ Pone [Fondations – ndlr], puis on a bossé sur un nouvel album, on était sérieux car on avait une boîte de prod, donc des bureaux, donc on a fait les choses bien, sans oublier les apéros pour les potes, mais un jour on a eu une ardoise de bâtard et deux maisons de disques qui voulaient nous sortir nous ont lâchés. On a compris que l’on allait dans le mur, on s’est embrouillé avec notre manager-comptable-booker, on avait l’album TR-303 prêt, mais des dettes de fou à payer…

À ce moment-là, Matthieu [Primeur] est arrivé pour sauver les meubles. On a fait ce que l’on pouvait, on a vendu les stocks de vinyles, et finalement on a réussi à sortir l’album. On a fait une tournée avec Oxmo, on a eu de la bonne presse et on n’a pas perdu d’argent. C’était en 2004, on a bouclé la boucle de l’indépendance… »

 

 

La fin / part. 01


« Fin 2005, on a décidé de faire notre chemin séparément, on a eu des gosses, ça s’est arrêté net, mais volontairement, donc un peu dur… Pas évident après avoir passé du temps avec des gens pendant sept années tous les jours de se retrouver seul à mener sa barque. Je suis passé à la vitesse supérieure au niveau graphisme, du travail pour gagner de la thune. Je me suis rendu compte que je voulais vraiment continuer la musique, faire un album solo, bosser avec des gens, se mouiller, transpirer… Après un an et demi de graphisme, je suis reparti sérieusement pour un album.

J’aime la vie d’artiste qui se confond avec ma vie de famille, pour laquelle je suis très sérieux. Je fais tout pour que ça marche, mais je sais que ça prendra du temps, je le fais à fond en tout cas. J’ai aussi une vision du rap qui a beaucoup évolué, j’apprécie le côté flambe, j’aime les fringues et payer des coups à mes potes en soirée, j’aime le show… Tu veux peut-être poser des questions ? »

 

L’ego-trip ?


« Je ne me sens pas limité pour ce solo. J’ai essayé de tout organiser, j’ai choisi les sons, je voulais juste que ça me ressemble. Quand j’ai eu plusieurs morceaux, je me suis rendu compte qu’il y avait beaucoup d’ego-trip. J’adore ça dans le rap cainri, je ne comprends pas tout, mais j’aime ce qui est simple et rentre dedans. On ne le faisait pas trop avec Triptik. J’aime les morceaux où je dis que je suis le meilleur, et si tu ajoutes les morceaux où je parle de ma vie, c’est vrai que c’est centré uniquement sur moi. Disons que je dirais égocentrique, plutôt que ego-trip. »

 

 

Les projets, le vécu et le quotidien


« J’adore le rap américain, la débilité et le côté brillant, je trouve le terme bling-bling un peu réducteur. En France, il faut que ce soit chialant et social. Dès le début dans le rap, j’ai aimé les pochettes avec les mecs en Air Jordan et des grosses voitures, disons que j’aime cette image. Et en même temps ça ne correspond pas à mon mode de vie, qui est plutôt sérieux quand je suis chez moi, et entre mon activité et celle de ma femme qui est illustratrice free-lance, ça n’est pas évident tous les jours.  Ça va et ça vient, c’est la vie, on l’a choisie. Ce sont des activités qui plus aléatoire qu’un travail de fonctionnaires.

(…)

Le fait de tout centrer sur moi était nécessaire, j’en avais besoin pour remettre les choses à plat, revenir en tant que Dabaaz ; là je refais du graphisme pour gagner des thunes, en même temps je bosse sur de nouveaux morceaux, comme ça, si l’album est bien reçu, je repars direct sur de nouvelles choses. Je sais que ça peut tourner assez vite, mais avec Triptik on a appris à se battre et à aller au bout des choses.

C’est pour ça que j’essaie d’avoir plusieurs activités, plusieurs centres d’intérêt, plusieurs vies, pour parer aux éventualités et toujours rebondir. Je pense que je suis amené à jongler un moment, mais c’est ce qui me plaît. Par contre, si j’étais célibataire, je serais une merde et ça ne serait pas bon pour la musique, ou alors je serais un personnage marrant, rien de bien grave, juste la loose ! En même temps non, j’ai toujours eu des projets, un petit côté Jérôme de Qhuit, faire bouger les choses et avancer ça me branche… »

 

 

Déchire-je ?


« Il y a un moment où tu as l’impression que ça déchire grave, et puis parfois tu te dis que c’est de la merde. Je pense que c’est vrai pour plein de choses, aussi bien pour faire un magazine ou du rap. C’est en dent-de-scie, mais bon, l’un de mes moteurs est de me dire que je suis le meilleur du monde ! Je crois qu’il faut aussi savoir lever le pied à un moment pour prendre du recul. Le mieux est l’ennemi du bien ! Je n’aime pas me faire chier, j’ai envie que ce soit un plaisir de faire les choses, et puis même si je cogite, je fais…

On a réalisé l’album très rapidement, un à deux morceaux par jour, peut-être que j’ai un niveau d’exigence qui n’est pas ce qu’il devrait être… Je ne sais pas… mais moi ça me va. Mon but n’est pas de faire des chefs-d’œuvre, c’est de faire des choses, d’avancer. Si j’attends de faire le morceau parfait, je ne le ferai jamais, donc je ne ferai jamais rien. Le disque est sorti, ça m’a enlevé un poids, j’attends des retours, positifs ou non, pour commencer autre chose.

Il suffit que j’aie un peu d’encouragements et ça me va ! Je veux juste enchaîner ! C’est aussi ça que je trouve mortel dans le rap américain, un mec peut faire deux bons titres, et dix que tu n’écouteras jamais. Les Jaÿ-Z et compagnie ont fait pas mal de daubes. Ils ont un bon niveau et la réalisation est toujours léchée, donc ça a toujours plus de gueule qu’un morceau raté français !

Le moteur est de faire des morceaux, et dans le lot il y aura peut-être celui qui me fera vivre toute ma vie ! J’ai vu ça chez Fogiel, le mec qui a écrit Ne la laisse pas tomber, il était auteur-compositeur et il vit de ça ! Personnellement, je ne pense pas que ça puisse m’arriver ! »

 

Le rap français


« Je revendique le côté électron-libre car le rap français c’est vraiment petit. Ça enferme et ça me fait chier. Tu dois choisir un camp. Moi mon but, c’est de faire le grand écart, plaire aux fans de Sinik, comme à ceux de TTC. Par moment, je voudrais dépasser les clivages, c’est prétentieux mais mes idoles sont ceux qui font ça. Ceux qui font un truc et ça tue, d’où qu’ils viennent… Je te dirai Jaÿ-Z mais aussi The Game, Snoop ou Eminem, ces mecs qui arrivent à dépasser tout ça, qui restent intéressants et créatifs à une échelle énorme, comme M dans le Rock.

Je revendique mes influences, mais aussi mes potes. J’ai fait des morceaux avec Octobre Rouge, Alibi Montana, Flynt… Et vu que je suis blanc, que je viens de Paris et que je vais au Rex Club, tout le monde aimerait que je fasse partie de la bande de TTC. Le fait d’être blanc je pense que c’est un avantage dans la musique en France, je ne pense pas que Sinik et Diam’s seraient aussi importants s’ils n’étaient pas blancs… »