Syd Matters *frère-océan

 

 

Syd Matters sort un nouvel album, Brotherocean. Un album qui satisfait pleinement Jonathan, le porte drapeau du groupe. Jonathan, on l’a rencontré une première fois ICI, voici donc la suite de cette conversation, six années plus tard.

 

À l’époque, tu réunissais des musiciens pour faire des concerts, aujourd’hui Syd Matters est devenu un groupe à part entière ? Jean-Yves, Rémi, Mathieu et Clément font toujours partie de l’aventure ?

C’est devenu un groupe, et ceux que tu as cités sont toujours présents, sauf Mathieu qui a été remplacé par Olivier, il y a six ans… C’est devenu un groupe, j’ai quand même beaucoup plus de ‘pouvoir’, car c’est moi qui compose et maquette les morceaux à la maison, ensuite je leur propose des choses. On a appris à trouver chacun nos places, ils enrichissent énormément ma musique. Ce n’est pas un groupe complètement démocratique, par contre je n’envisage pas de faire Syd Matters sans eux aujourd’hui.

 

Comment s’organise la création avec le reste du groupe ?

Déjà, ce sont des amis, ce sont les premiers qui écoutent les morceaux quand je sors de ma chambre. De mon côté, j’essaie de jouer de plusieurs instruments, de ne pas me cantonner à guitare / voix, et eux-aussi ont cette démarche, ils se sentent musiciens, pas seulement instrumentistes. Chacun a une vision d’ensemble du groupe, et est capable de jouer plein d’autres instruments que celui qu’ils tiennent sur scène. Leur rôle est fondamental.

 

C’est une obligation d’être multi-instrumentiste ? Actuellement, on ne peut plus se cantonner à un seul rôle dans un groupe ?

Je ne crois pas que ce soit une obligation, c’est un goût. Plusieurs personnes du groupe écrivent de la musique, donc naturellement, c’est comme ça que l’on fonctionne. Tout le monde a un avis sur la musique, des idées sur l’instrumentation, la structure harmonique, et pas seulement sur sa spécialité. Je ne crois pas que l’on soit devenu multi-instrumentiste, je crois que ce qui nous réunit c’est un amour des chansons en générale, de la pop au sens large, et c’est un domaine où la technique n’est pas importante.

Ce qui importe, c’est la créativité, et le jeu, du coup on s’est toujours permis d’aller vers d’autres instruments qui ne sont pas forcément nos instruments de prédilections et d’essayer d’en tirer quelque chose, naturellement tout le monde change de rôle et s’essaye à de nouveaux horizons.

 

C’est difficile d’approcher un nouvel instrument, de l’incorporer dans une composition ?

C’est génial de découvrir un nouvel instrument et de pouvoir l’intégrer à ton écriture, à ta musique, je suis toujours en quête de nouvel instrument, de nouvelles sonorités, et de nouvelles sensations de jeu. Après la guitare, j’ai appris tant bien que mal le piano, c’est mystérieux, tu ne sais pas comment on en joue, le doigté est différent, c’est vraiment une nouvelle direction. Quand je découvre un nouvel instrument, je ne trouve pas l’apprentissage difficile, je trouve ça hyper motivant car c’est mystérieux.

 

Il y a quelques années, tu affirmais que l’environnement définissait la musique jouée. Tu prenais l’exemple des groupes de Versailles qui avaient un certains style car on pouvait dégotter des Moog pour 300 francs [50 euros environ – ndlr] dans les brocantes de la ville…

C’est toujours vrai pour moi. L’environnement, ça peut être très large, si tu fais de la musique dans ta chambre, tu auras pleins de petits instruments, des trucs qui ne font pas de bruit…. (sourire) C’est vrai ! Chez toi tu ne vas pas avoir une harpe et des timbales, donc naturellement tu te tournes vers des instruments petits et cheap, ma chambre n’a pas grandi… Je trouve ça important de t’adapter à l’endroit où tu es, et là où tu vas faire de la musique va te t’imposer la manière d’en faire.

 

Tu composes toujours dans le 20ème ?

Je suis dans le 19ème maintenant, j’ai passé la frontière, mais je ne suis pas très loin de là où j’étais, c’est mon quartier !

 

C’était un peu reggae à l’époque…

Ça a un petit peu changé, il y a une salle qui a pris de l’importance dans le milieu indé, c’est la Flèche d’or, qui était alternative, punk, reggae, fanfare, ska, dans les années quatre-vingt-dix, et qui s’est ouverte à la musique pop et indé. J’ai l’impression que c’est devenu un pôle important à Paris, et ça a fait émergé une mini scène à l’est de la ville (sourire), là je m’aventure un peu sur le terrain de la théorie !

 

Tu es satisfait des lieux dédiés à la musique à Paris ?

Non, je crois qu’il manque des intermédiaires ; il y a des bars et des clubs, des endroits pour une centaine de personnes, tu peux jouer assez facilement à Paris quand tu n’as pas encore de notoriété. Et tu peux aussi y rester pendant dix ans, car les salles de la taille au-dessus sont difficiles à atteindre, les programmations sont plus élitistes.
Quand tu vas en province, il y a des salles qui sont d’une qualité largement mieux que ce que tu peux trouver à Paris, ce sont aussi des salles qui font beaucoup pour la promotion de la scène locale, donc très facilement tu peux faire la première partie d’un groupe plus gros qui vient dans ta région. Ça, je crois, c’est plus compliqué à Paris, il y a des strates à franchir qui sont plus hermétiques. Tu peux très vite trouver des endroits pour faire des concerts, mais pour passer au stade supérieur, tu peux vraiment galérer.

 

Comment ça s’est passé pour vous ? Ça a été simple de s’imposer ?

Simple non, mais ça a été sain. On a eu le parcours classique d’un groupe : on a joué dans des bars, il y avait dix personnes, puis vingt, puis trente, et on a fait une première partie, ensuite on a été tête d’affiche. Ça a été très graduel, et aujourd’hui on a la chance de faire de belles salles, en France. Mais on n’a pas l’impression d’avoir été catapulté, on est passé par toutes les strates.

Tu semblais être projeté de ta chambre à la scène à tes débuts…

C’est vrai que lorsque l’on a fait CQFD, le concours organisé par les Inrocks, ça t’ouvre des portes, et tu n’es pas forcément prêt. On s’est retrouvé à la Route du Rock en 2003, ça faisait six mois que l’on jouait ensemble, et je n’avais fait que cinq concerts dans ma vie.

C’était beaucoup trop gros, mais ensuite on est rentré dans un schéma classique, une fois que la médiatisation a été moins importante. On a fait la Cigale devant 1500 personnes, puis la Route du Rock, ensuite on a eu un tourneur et on a cherché des endroits qui voulaient bien de nous. Ça devient moins impressionnant car tu ne grilles pas les étapes.

 

Entre la scène et composer, quel est le moment le plus agréable ?

Je crois que la scène c’est le plus agréable. Et particulièrement avec ce disque que j’ai envie de défendre, car je pense que l’on a fait du bon boulot.

 

Tu n’étais pas satisfait de ceux d’avant…

Non, je n’étais pas satisfait. Je sais qu’ils ont été faits sincèrement mais je m’en excusais toujours, sans fausse modestie. Je trouve que ce n’est pas naturel de dire « ma musique, elle défonce. » Quand tu es dans un projet, tu as la gueule dedans, tu es très critique ; du coup, si les gens aimaient je les remerciais, et s’ils n’aimaient pas, je disais « je comprends, pas de problème… »

C’est une concordance, je trouve que l’on a fait quelque chose sur ce disque qui me plait, et musicalement je pense que ça peut apporter quelque chose au paysage indé français (sourire), je suis content de ça, c’est tout ! Être sur la route, être sur scène, c’est fun, j’adore ça ; mais tu as besoin de te retrouver en studio, dans ton cocon pour composer, c’est capital.

 

À l’époque, il t’était de difficile de gérer l’intensité de la scène avec le moment d’attente avant la sortie d’un disque ; tu y arrives maintenant ?

À peu près… Quand on est sorti de studio, on est allé en tournée, montée par nous-mêmes, et on est allé jouer dans des lieux insolites, pendant les mois de mai, juin et un peu juillet. Il n’y a pas eu de break, on est sorti de studio pour aller jouer les morceaux, plutôt que d’attendre que l’album sorte qui est toujours une période assez chiante à gérer.

 

Dans quels lieux avez-vous joué ?

On a joué dans des chapelles, dans une salle de musée, une grange, un jardin… on a appelé toutes les associations que l’on a croisées pendant nos tournées, et on leur a proposé ce projet. « Quels sont les endroits super beaux de votre ville dans lesquels il n’y a pas de concerts mais où c’est envisageable d’en faire ? » On a eu plein de réponses, c’est génial, et c’est comme lorsque je te dis que l’endroit où tu fais de la musique te dicte comment tu vas la faire, c’est pareil. Tu arrives dans un endroit, et tu dois d’adapter.

Dans une chapelle, où il y a une réverbération de malade mental, tu es obligé de respecter le lieu, de jouer différemment, de maîtriser ta musique, pareil sur une péniche, dans une grange… Le lieu s’impose, et ça donne à ta musique une couleur particulière, c’était une putain d’expérience.

 

Quel est le lieu le plus atypique où vous avez joué ? le meilleur souvenir ?

Je crois que c’est dans une grange en Belgique. C’était incroyable parce qu’on jouait au milieu des gens, c’était aussi le principe de la tournée : pas de scène. Il y avait un côté communion avec le public, qui est très agréable, on a aussi demandé à des copains de venir, on était donc huit ou neuf sur scène.

 

Justement, les réseaux sociaux ont changé vos rapports avec le public ?

Ça a changé, bien que nous avions un forum très actif avant. Ce sont des endroits où il y a une communication directe avec les gens qui supportent ta musique, et ça a toujours été notre support le plus important. Les gens fidèles à notre musique, qui ont un rapport plus personnel peuvent se retrouver et communiquer avec nous.

Forcément Myspace, Facebook, Twitter, change le rapport avec les gens, ça peut te remettre à ta place ; je trouve la séparation entre les musiciens, les artistes et le public, bidon, les gens nous ressemblent, on parle avec eux, on parle avec n’importe qui, on fait de la musique, ils font autre chose, c’est sain je pense.

 

J’ai l’impression que ce clivage est plus important en France, qu’aux États-Unis par exemple…

Je ne sais pas vraiment comment ça se passe dans les autres pays, mais en France il y a un statut artistique qui est ridicule. Je pense que c’est un rapport aux arts, en France, pour que ce soit acceptable, il faut que ce soit quelque chose d’exception, quelque chose d’inaccessible, sinon c’est juste populaire, je trouve ça assez bidon.

Pour le coup la musique populaire aux États-Unis est considérée comme importante, c’est un rapport plus simple. Il y a toujours plus de vérité quand un mec vient te voir et te dit « vous étiez un peu faux quand même ! »

 

La critique, c’est quelque chose qui t’atteint ?

Non, ma théorie est que quand tu restes dans le succès que tu as, soit les gens défendent le truc, soit ils ne parlent pas de toi. Il y a ceux qui adorent ce que tu fais, et qui veulent défendre le truc, sinon il n’y a pas d’enjeux de parler de quelque chose que personne ne connait. Du coup, ça te met à l’abri de certaine critique, alors que si U2 sort un disque demain, les médias, surtout les médias culturels, seront obligés d’en parler.

C’est une part de leur lectorat, c’est un événement en soi, ils vont en parler, même s’ils trouvent ça pourri, et du coup tu t’exposes à de mauvaises critiques. Du coup on a plutôt eu de bon retours, mais je trouve aussi très normal que l’on nous critique, ça nous arrive. Il faut le prendre comme c’est, on est assez hermétique, aux bonnes comme aux mauvaises critiques. À partir du moment où tu consacres ta vie à faire quelque chose, tu sais que la vie extérieure est importante, intéressante, enrichissante, mais la vérité t’appartient.

On ne va pas changer notre musique parce que les gens aiment ou n’aiment pas tel aspect, je trouve qu’à ce moment-là la critique est la bienvenue, quelqu’un qui n’aime pas notre musique a raison de le faire savoir, mais on a aussi raison de l’ignorer.

 

À l’époque tu avais une dent contre le Lo-fi ?

J’ai une dent contre les postures en général. Le Lo-fi c’était intéressant et c’est intéressant, quand c’est ce qui résulte naturellement de la musique que tu fais, quand tu aimes les sons un peu crades, les trucs un peu intimistes. Je n’ai rien contre le Lo-fi, mais contre les postures, et toute la scène qui a pu en émerger : j’ai un ukulélé un peu désaccordé, je suis un peu timide. Quand ça devient une posture pour faire cool, c’est insupportable. Et je trouve aussi insupportable les gens qui se forgent un personnage dans le mainstream, ce n’est pas plus défendable.

Il ne faut pas que ça devienne un déguisement le Lo-fi, il y a eu un truc comme ça récemment, très très bizarre. Il y a une musique qui n’est jamais passée en France, car il n’y pas vraiment de radio étudiante, c’est la musique indépendante, alternative. Cette musique que l’on n’entendait pas à la radio, on l’entendait alors dans les pubs. Dans une pub pour une voiture, pour une Volvo, tu as un ukulélé dans le fond et un mec qui chantonne.

C’était une musique qui ne passait pas à la radio, parce que pas assez commerciale, et elle se retrouve à l’endroit le plus commercial : pour la pub, pour la grande distribution…. Je crois que ça a fait découvrir le Lo-fi a plein de gens, via les pubs, du coup tu as pu avoir des trucs très bizarre, comme des mecs qui viennent de la grosse variété qui tâche, et qui vont s’imposer un personnage un peu crado, un peu hippie, mais putain c’est quoi ce cirque ! Le Lo-fi peut être un grand cirque !

 

Le fait de chanter en anglais vous a permis d’exporter votre musique ?

En Europe il y a des endroits où ça marche plutôt bien, on a eu l’occasion d’aller au États-Unis plusieurs fois, mais c’est tellement difficile, surtout en tant que petits français qui chantent en anglais, ils ont d’autres choses à foutres que d’écouter ça.

On a quand même pu faire des concerts là-bas, quand on a eu des synchro sur des films américains, ou sur des séries, d’un coup ça t’expose, et ça justifie d’aller faire un peu de promo là-bas. C’est comme ça que ça marche, tu ne peux pas arriver et dire « salut, j’ai fait un disque, je suis français, j’habite à paris… » C’est un peu compliqué, et ça coute beaucoup d’argent d’y aller…

 

Ce sont de bons souvenirs l’Amérique ?

C’est génial ! Déjà, notre musique a des racines anglo-saxonnes, et le fait de se retrouver au cœur du truc, c’est génial. On a fait un gros festival qui s’appelle South by South West, à Austin au Texas, qui est énorme. Dans toute la ville, sur une semaine, il y a des gens comme Neil Young, les Strokes, il y a des concerts dans tous les bars tout le temps… La ville du rock, avec des bars et des tatoueurs, et quelques prêcheurs qui sont là pour dire « le rock & roll c’est pas bien », et des gros bikers leur font des doigts en gueulant « cassez-vous ! Dieu n’existe pas ! » C’est l’Amérique quoi !

 

À l’époque tu avais un side-project, Out Ernst, ça en est où ?

Oh putain… c’est fini ! C’est un de mes premiers groupes. Chacun est resté dans le milieu de la musique, mon pote Chris qui était bassiste a un projet qui s’appelle The Grass Widows, Thomas joue du clavier avec plusieurs groupes, le batteur, Ola, est retourné dans son pays, la Suède. C’est fini, hélas…

 

In Utero de Nirvana reste un de tes albums préférés ?

Je ne peux plus l’entendre car je le connais par cœur. Mais je l’ai écouté il n’y a pas si longtemps, c’est un album incroyable, et qui a posé les bases. C’est un truc sans phare, tu sens qu’il y a un truc d’acceptation, qui n’est pas une musique technique, mais une musique que tu fais par ta personnalité, plus que par tes capacités de musiciens. Et ça, ça m’a marqué à vie.

Je n’aurais jamais osé chanter si je n’avais pas écouté Nirvana, j’ai l’impression de venir de là, de chanter un peu comme ça. Kurt Cobain a amené quelque chose de différent, pour le coup dans la musique mondiale, ce qui compte c’est ce que tu dégages, plus que tes capacités techniques, c’est l’émotion…

 

Pourquoi avoir intitulé ce nouvel album Brotherocean ?

C’est un mot qui tournait dans ma tête depuis le début de l’écriture de ce disque, et qui synthétisait la famille et la mer. J’ai toujours voulu un titre qui soit un nom inventé, je trouve que ça donne une personnalité au disque. C’était le titre de travail, et il est resté…

 

Tu as pensé chanter en français ?

Je ne sais pas du tout le faire. Je n’ai rien contre le français, bien au contraire, mais c’est très dur. Je n’ai pas la même voix en français, je ne sais pas chanter en français, et j’adore la langue anglaise pour ce qu’elle a d’imagé. C’est marrant parce qu’en février prochain c’est l’anniversaire de la mort de Gainsbourg, et on a joué pour une radio, qui nous a demandé de reprendre un titre de Gainsbourg. Je me suis rendu compte que je n’en étais pas capable. Chanter en français décolle trop les mots de la musique, alors que j’ai besoin que ça soit un mélange. Du coup, on ne va pas reprendre quoique ce soit, on ne sait pas le faire…