SAUL WILLIAMS #archive

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L’âme Saul

 

Icône noire depuis le film slam dans lequel il avait le premier rôle, Saul Williams repousse les limites de sa musique. Du hip-hop, il passe par la drum&bass, expérimente et sort un nouvel album (éponyme) très rock.

 

* Quelles ont été tes premières expériences musicales ?

J’ai grandi avec le hip-hop, avec Run-DMC et LL Cool J. Ensuite il y a eu une évolution vers le rap politique avec Public Enemy, KRS-One, Rakim, c’est là que c’est vraiment devenu important pour moi. J’étais très excité à l’idée de rébellion, un peu comme le punk-rock à son époque.

Le rap a toujours été très punk dans l’attitude, il permettait de donner la parole à des gens qui n’avaient pas forcément les moyens de la prendre.

 

* Tu penses que le message est nécessaire et important ?

Je ne sais pas si c’est le plus important. Je crois que la musique déclenche des émotions, et c’est pour cela qu’elle est faite. Elle n’a pas besoin de mots pour déclencher quelque chose.

Par exemple, dans le film Les dents de la mer, la musique est là pour accentuer la pression, te rendre nerveux. C’est ça que j’aime, ce pouvoir que la musique a de déclencher des émotions.

Si tu veux y ajouter des mots, ils n’ont pas vraiment besoin de composer un message. Ça peut-être simplement des mots, comme une chanson des Beatles. Y-a t-il vraiment un message dans leurs morceaux ?

Ça parle de notre temps, de notre génération, et je ne pense pas que le message permettra aux idées de plus circuler. C’est pour ça que j’aime le hip-hop. Cette musique est celle du présent, elle relate ce qui s’y passe, c’est un acquis de notre génération.

Personnellement, j’aime l’idée d’un message quand je fais une chanson, et ça m’émeut d’autant plus quand je peux aussi danser.

 


« Je dirais que mon artiste hip-hop favori
à l’heure actuelle est The Game. »

* Qui a réussi à concrétiser ça ?

Probablement Public Enemy. C’était la première fois que j’avais l’occasion de danser et de penser en même temps. C’est incroyable de mêler les deux. La musique t’inspire, elle te rend serein, elle te donne l’occasion de réfléchir, te concerne et te procure des sentiments. Elle te permet de danser avec des filles. Idem avec le skateboard, je pense que la musique fait partie de cette activité.

Je faisais du BMX, j’aimais les sensations agressives et violentes que ça procure, sûrement comme la cocaïne, même si je n’en ai jamais pris. Actuellement, mon groupe favori n’a pas vraiment de message, il relate ce qu’il voit et ce qu’il vit, un peu comme The Mars Volta.

Pourtant même les gens qui parlent anglais ne sont pas foutus de comprendre ce qu’ils disent ! Mais ça nous parle, car ce sont des gens de notre temps, qui parlent notre langage. Un peu comme Radiohead, on ne sait jamais de quoi ils parlent, mais c’est quelque chose qui est ancré dans notre réalité.

Tu as la même chose dans le hip-hop, mais de façon plus directe : « J’emmerde ça, parce que j’en ai rien à foutre… » Je ne pense pas qu’il y ait un nouveau Public Enemy, mais il y a des groupes intéressants comme The Mars Volta dans le rock, et dans le hip-hop, tu as… Je dirais que mon artiste hip-hop favori à l’heure actuelle est The Game.

 

*Pourquoi ?!

Parce que je trouve que c’est un excellent compromis : sa voix, la façon dont il rappe et la musique. Je trouve qu’il est très introspectif, j’aime cette chanson où il raconte la naissance de son fils et qu’il souhaite qu’il grandisse autrement que comme lui a grandi.

 

Ça prouve qu’il a des sentiments, ce n’est pas seulement du gangsta-rap. Beaucoup rappent : «  Mon fils aura un gun, et patati, et patata… » The Game raconte le contraire, il a pris cinq balles et ça l’a fait réfléchir.

 

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* Tu fais toujours du hip-hop ?

Je pense que ma musique est hip-hop, mais pas seulement. Je suis noir et américain, donc ma musique est hip-hop. Ça sonne punk et rock, mais tout est programmé, ce ne sont que des samples.

 

* Ça n’est pas trop difficile d’être à la croisé des genres ?

Non, parce que je pense que l’on est à une période où tout le monde est à la croisé d’un chemin. Le hip-hop en France a une histoire, des groupes comme IAM ou NTM ont commencé probablement grâce à Public Enemy, ils y ont vu des similarités avec leur quotidien. Pour moi c’est pareil quand j’écoute du punk et d’autres musiques.

 

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« Il y a des chiffres effarants :
seulement 14% des américains possèdent un passeport ! »

 

* Il y a un retour du punk ?

Je ne sais pas, mais je pense que plus rien ne sera jamais pareil. Le hip-hop n’a plus besoin de gangsters. Combien de fois il faut se faire shooter pour vendre des albums ? la prochaine étape c’est de mourir et d’être ressuscité, comme Tupac ?

Je crois que l’avenir est en train de se construire avec des disques comme le Grey album de Jaÿ-Z, réalisé avec des samples des Beatles. Tout ça arrive parce que se sont les seules choses qu’ils restent à faire ! C’est le mélange du vieux et du neuf.

 

* Parle-nous de ta collaboration avec DJ Spooky pour le disque Not In Our Name

C’est un disque important pour moi. Je n’avais jamais travaillé avec Spooky et on voulait faire quelque chose qui sorte de l’ordinaire. Je voulais clamer que tous les américains n’étaient pas d’accord avec la politique qui était menée à l’encontre de l’Irak.

J’ai été très embarrassé par certaines situations, notamment le coup des freedom fries. C’est devenu important de transmettre ce message pour moi, donc on a fait ce disque avec Spooky.

 

* Faire de la musique avec des gens qui ont une démarche intellectuelle, c’est important pour toi ?

Je crois que c’est quelque chose de naturelle, pour nous, d’apprécier le travail des uns et des autres. Donc de faire des choses ensemble. Je pense que les gens ont trippé que nous fassions un disque en commun.

Sur cet album, il y a aussi Serj Tankiane du groupe System of a Down. Il m’a appelé un matin et m’a dit qu’il avait composé un titre pour moi. J’étais ravi et c’est devenu l’intro. Plus récemment, on a enregistré un remix de Black Stacey avec Nas, j’espère que ce sera bientôt disponible.

* Il y a aussi Not In Our Name Movement

Ce mouvement a la volonté de défendre les droits des artistes et la liberté d’expression contre le gouvernement. Il dénonce le fait que la liberté d’expression régresse, et que les États-Unis occupe l’Irak illégalement.

 

* Et cette rencontre avec Thomas Kessler…

J’ai sorti des recueils de poésie, Don’t Said the shotgun to the head. Le compositeur Thomas Kessler, qui est suisse, m’a dit qu’il souhaitait écrire une symphonie en s’inspirant de l’un des poèmes.

La semaine prochaine je vais à la représentation. Il y aura un orchestre de 70 personnes, une chorale et moi, ça va être dingue !

 

* C’est plus jouissif d’écrire, les concerts, le studio ?

C’est définitivement de faire une performance, mais j’aime avant tout écrire sachant qu’il en sortira quelque chose d’originale, et qui sera joué sur scène. Pour ce nouvel album, je voulais que ce soit agressif, et que ce soit pertinent sur scène. Je voulais une excuse pour me lâcher complètement !

 

* Pour finir, qu’est-ce que tu détestes aux États-Unis ?

Il n’y a rien a proprement parlé que je déteste aux États-Unis. Mais il y a cette arrogance commune à certains Américains qui me déplaît. Beaucoup de gens sont dans la logique ‘God Bless America’ et ne pensent pas au reste du monde. Il y a des chiffres effarants : seulement 14% des américains possèdent un passeport ! Et la moitié voyage entre le Canada et le Mexique. La plupart des Américains ne quittent jamais le pays. C’est tellement différent en Europe, où des gens sont bilingues et connaissent d’autres pays. Ça explique pourquoi tant d’Américains sont limités, et pensent dominer le monde.

Si j’en reviens au message dans la musique, je pense que c’est nécessaire de le faire en Amérique, parce qu’on a peu de philosophes. Mais nous avons des personnages importants. Et pour le pays le plus riche du monde, le système éducatif public est très pauvre. Il est nécessaire que les jeunes trouvent un moyen de penser au-delà de ce qu’on leur apprend.

Il se trouve que la musique est un moyen de faire réfléchir les gens. Rage Against The Machine, System of a Down ou Public Enemy encouragent les jeunes à se lever et à prendre la parole. Ils posent de vraies questions, s’interrogent sur les médias…

Il y a aussi beaucoup de gangs, et ce qui est positif avec The Game, c’est que ses lyrics ne font pas l’apologie du gangstérisme. Il est vulnérable et sensible. 50 Cent, quant à lui, est plus radical, il dit : “I do what I gotta do I don’t care I if get caught / The DA can play this motherfuckin tape in court / I’ll kill you”. C’est exactement le même discours que George Bush !

 

* Et ce que tu aimes aux États-Unis ?

Voyons… je suis embarrassé par cette question. Je pense que les meilleures choses viennent de la culture Afro-Américaine. Sans ça, on n’aurait pas de rock, ni de hip-hop, pas de jazz, ni de blues. Sans oublier le sport, la langue, etc. Tous ces éléments enrichissent la culture américaine, mais ils sont aussi synonymes de pauvreté et de bling-bling.

 

Une interview parue dans le magazine papier SuGaR, en 1983.

 

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