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RAZ OHARA

Au Raz du gouffre

 

Après avoir sorti un premier disque plutôt joyeux et tourné vers l’electro, le hip-hop et la soul, le jeune Raz Ohara nous livre un album folk aux reflets lo-fi. Welcome to The Last Legend, où se déverse un spleen empreint d’une souffrance apparemment refrénée.

Entretien avec ce jeune danois vivant à Berlin, signé chez Kitty-Yo Records.

 

 

The Last Legend est totalement différent de Real Time Voyeur, ton premier album. Que s’est il passé dans ta vie pour que tu changes aussi brutalement de direction, musicalement parlant ?

J’ai vraiment voulu me retrouver avec The Last Legend. Retrouver des sensations enfouies très profondément en moi. Beaucoup de choses personnelles assez marquantes me sont arrivées entre le premier album.

Il est rempli de compositions que j’avais écrites depuis de nombreuses années, lorsque j’ai commencé à jouer de la guitare. Mais je n’avais jamais pu transcrire tout cela en en musique, jusqu’à ce que je me mette vraiment au travail. Cela me tenait à cœur de pouvoir sortir un tel album.

 

De plus en plus d’artistes sont inclassables dans leur style mais également parce que leur musique change constamment. Two Lone Swordsmen, Gonzales, Jimi Tenor, d’un album à un autre leur travail peut être radicalement différent… Les gens qui ont apprécié ton premier album – qui est plutôt électro – pourraient être surpris, voire déçus, par la musique acoustique de The Last Legend

Ouais je sais. D’ailleurs mon troisième album sera à l’opposé de celui-ci. Tout ce que je peux dire c’est que je ne fais pas de la musique pour me faire connaître en temps qu’artiste pop, electro, folk, etc. J’ai de la chance de pouvoir faire ce que je veux et de sortir ma musique sur un label qui me fait confiance. D’ailleurs j’ai l’intention de revenir sur des programmations rythmiques. C’est ce que j’ai envie de faire en ce moment par exemple.

 

Mais lorsque tu réécoutes tes deux albums, lequel préfères-tu?

The Last Legend. Sans hésiter.

 

J’ai mentionné Gonzales. Es-tu proche des artistes du label Kitty-Yo. Des gens comme Peaches, Couch, Tarwater ? As-tu déjà collaboré avec eux, sur scène par exemple ?

Il y a deux ans j’ai fait un set electro à Berlin avec Gonzales, c’était vraiment réussi. Kitty-Yo a aussi organisé un petit festival en Espagne avec beaucoup d’artistes du label et c’était vraiment cool. Il y a un esprit de famille qui règne au sein de mon label. Des amitiés se sont formées d’ailleurs.

Pour ma part, je me sens assez proche de Laub. Je vais bientôt travailler sur un projet avec l’un des membres du groupe, qui est sur Kitty-Yo. On va faire des concerts ensemble également.

 

« Cet album est totalement marqué par la présence spirituelle de mon père. »

Quel type de musique ?

La fille de Laub avec qui je compte bosser fait pas mal de trucs saturés, d’ambiances sonores assez sombres. Je vais juste poser ma voix sur sa musique et elle en fera ce qu’elle veut. Je lui fais totalement confiance. Laub travaille sur un album en ce moment. Ils font des trucs hyper intéressants. C’est vraiment un groupe que j’aime beaucoup.

 


Dans la chanson True Feelin, très sensible, très intense, ta façon de chanter me fait penser à certaines compositions de Whiskeytown ou Damien Jurado. Connais-tu ces groupes ?

True feelin est le parfait exemple d’un truc qui vient de mon cœur, de mes tripes, de mon âme. Comme la plupart des titres de cet album d’ailleurs. Ce morceau a été enregistré d’un trait, sur un coup de tête, d’une façon assez franche si l’on peut dire. Il est court mais j’adore ce titre.

Par contre je ne connais pas du tout Whiskeytown et Jurado. J’aime beaucoup Bob Dylan en fait. Je connais Blowing In The Wind par cœur.

 

 

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J’ai appris que tu avais entièrement produit ton premier album. Est-ce que c’est également le cas pour The Last Legend ? Tu composes seul ? Comment procèdes-tu?

J’enregistre toutes mes compositions dans ma chambre. Personne n’interfère dans mon travail. J’ai la chance de pouvoir tout faire tout seul de A à Z. Mais à l’avenir peut être que je pourrais travailler avec d’autres personnes. Je n’ai rien contre ça. D’ailleurs j’ai écouté de bon trucs récemment.

 

Qu’est-ce que tu écoutes en ce moment ? Qu’est-ce qui te plaît ?

J’écoute beaucoup Tom Waits. J’ai écouté un album du groupe Air. Il y a quelques trucs vraiment bons. Dans le train j’ai écouté un CD de percussions africaines. J’aime aussi le hip-hop, les Français font de bon trucs. Un ami m’a prêté un truc qui s’appelle FF je crois [Fonky Family – ndlr].

 

Quel style de hip-hop apprécies-tu ?

J’adore le travail rythmique de certains producteurs comme DJ Premier, The Automator… J’adore les beats bien travaillés. Les trucs d’Anti Pop, DJ Shadow.

 

Que penses-tu des artistes qui n’appartiennent pas à la scène hip-hop mais qui utilisent pas mal de rythmes et de samples qui s’en rapprochent ?

C’est mon cas. Pour le premier album, j’ai utilisé plein de samples et de rythmes qui se rapprochent du rap et du R&B. C’est vrai que le hip-hop est de plus en plus présent dans les productions des groupes qui font de l’électro.

Je pense par exemple à Gonzales. C’est une bonne chose quand c’est bien fait. Par contre les types qui prennent un beat déjà existant, qui ne le modifient pas, qui posent leur texte et leurs samples trop facilement, ça me fait fuir.

 

Ta reprise de Where is my mind des Pixies a fait couler beaucoup d’encre outre-Manche…

Ouais je m’en fous. C’est un morceau totalement différent de l’original. Je sais même pas si on peut appeler ça une reprise.

 

Tu as toujours vécu dans des pays froids. Le Danemark, l’Allemagne, la Suisse. Penses-tu que cela a une influence sur ta façon de voir les choses, sur ta musique ? Ton dernier album n’est pas vraiment joyeux…

Ça fait sept ans que je vis en Allemagne. Je ne pense pas que c’est le ciel gris de Berlin qui m’a poussé à écrire des textes tristes comme ceux de cet album. Cela a peut être eu un léger effet amplificateur parce que c’est vrai qu’il fait froid là-bas. Il caille en Allemagne !

En fait c’est plutôt mon état d’esprit d’il y a deux ans qui m’a poussé dans une sorte de gouffre, où j’ai eu pas mal de problèmes. Alors j’ai voulu déverser toutes mes peurs et mes sentiments dans ma musique. Et ça donne The Last Legend.

 

Tes textes sont assez déconcertants. Prenons la chanson Where’s The Road To China, les paroles sont insolites…

Bah en fait, je parle de tous les gens qui vivent leur vie sans pensée, sans penser qu’on vit sur une planète rempli d’êtres humains, de civilisations, de culture différentes. Et qu’à l’autre bout de la planète, il y a des types qui vivent sacrement différemment et qu’il y a plein de choses à voir, à découvrir.

Il suffit juste de trouver le bon chemin, les bonnes destinations. J’ai pris l’exemple de la Chine parce que c’est vraiment le pays, pour moi, qui personnifie le mieux ce que les Occidentaux appellent ‘le bout du monde’. Mais j’ai surtout écrit cette chanson en pensant à mon père. Ouais, surtout en pensant à mon père en fait.

Il est décédé il y a deux ans. Il était marin et il a fait le tour du monde avec son équipage. Il a beaucoup été en Asie. En Chine notamment. Il me disait toujours : « La Chine est un truc de fou, un pays totalement différent de tout que tu peux imaginer… » Mon père a vraiment rencontré des tas de gens et vu des tas de choses. Cet album est totalement marqué par la présence spirituelle de mon père.

 

Dans plusieurs de tes textes on sent que tu veux t’éloigner. Physiquement et spirituellement. Quel sont tes projets pour l’avenir ?

Je pense que je vais prendre des vacances dans un pays chaud (rire). Ouais, peut-être en Thaïlande… Et si je peux, j’irais faire un tour en Chine. Je n’y suis jamais allé.