I want to go to Michael Jackson’s funerals #archive

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[Texte & photographie : Éric Antoine]

Downtown Los Angeles. 4 heures du matin, le soleil se lève déjà

 

Capitalisme oblige, la moindre place de parking habituellement gratuite se négocie aujourd’hui à 40 ou 50$.  C’est un premier aperçu de l’énorme marché que sera cette journée de funérailles, en allant du simple vendeur de badges aux grandes chaînes de télévision américaines qui retransmettront chaque instant et compteront par millions leurs recettes publicitaires.

Les premières personnes que je rencontre attendent du côté sud du Staples Center, il n’y a encore aucun journaliste sur place. Une vingtaine de personnes s’alignent tranquillement alors que les milliers de policiers mobilisés arrivent sur place et que les plus braves des vendeurs de T-shirts souvenirs s’installent.

Dans 8 heures, quelques fans privilégiés de Michael Jackson pourront le voir passer du statut de légende vivante à celui de martyr de la musique pop. 12000 personnes détiendront ce précieux ticket qui leur permettra d’accéder au hall gigantesque dans lequel aura lieu la cérémonie. Pourtant, la municipalité attend entre 200 000 et 500 000 personnes.

 

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Pour les fans, tous ces chiffres semblent sans importance, chacun d’eux a fait son pèlerinage personnel, son geste symbolique. Un homme et son fils attendent calmement depuis une heure, ils viennent de Mexicali, à 3 heures et demie de Los Angeles, de l’autre côté de la frontière. Ils n’ont pas de ticket mais ils se doivent d’être là, et, qui sait, peut-être réussiront-ils à rentrer, d’une manière ou d’une autre. Alors que je le photographie, le gamin brandit un journal avec une photo de son idole.

Dans la queue, les femmes – en grande majorité Afro-Américaines – sont très élégamment habillées de noir, tandis que la plupart des hommes arborent des chapeaux. Une femme handicapée attend, dans sa chaise roulante, depuis le début de la nuit. Autour d’elle, ses amies dansent et chantent des tubes du « King of pop » représenté sur leurs T-shirts. La première banderole apparaît enfin : « we will always love you ».

 

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Un autre père et son fils me racontent qu’ils viennent de Brawley, à 4 heures de là, et m’informent que les tickets pour les funérailles se négocient à plus de 4000$ sur Internet. Quatre filles de Long Beach – Tracey, Linda, Amber et Bianca – me tendent fièrement leurs tickets gagnés à la loterie du Dodger Stadium. Elles sont heureuses et sourient à pleines dents, comme si le simple fait de savoir qu’elles verront le cercueil, où gît leur icône, leur avait ôté la douleur de sa mort.

Je passe un petit moment à parler avec Fernand, un policier de la LAPD depuis plus de 20 ans, qui me dit n’avoir jamais vu un tel rassemblement pour une seule personne, puis je me dirige vers l’entrée nord. Il est 5 heures du matin et quelques filles dorment encore ici et là.

Sans le faire exprès – le déclenchement d’un Nikon FM2 n’a jamais été très discret -, je réveille Lise Arona et Nicole, venues de San Diego afin de passer la nuit sur place et d’être les premières devant le Staples Center. Malheureusement pour elles, de nombreux autres fans ont eu la même idée.

 

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A partir de 6 heures du matin, les queues se désordonnent, les médias débarquent en masse et un véritable marché s’installe autour du Staples Center. On y trouve posters, T-shirts, badges et livres. Je rencontre Alex et Lewis, deux Français habitant à Los Angeles ; ils ont imprimé quelques T-shirts pour arrondir leur fin de mois. Un vendeur de posters hurle « get them here for 5$, sell ’em on Ebay for 20!« , un autre crie « my last shirt ! » . Le marché s’agrandit et s’organise.

Dans un coin, une femme et son bébé restent sous leur couverture, après avoir passé la nuit ici ; elle a l’air triste et impatiente. Devant elle, deux sœurs jumelles quinquagénaires déambulent, enrobées dans un drapeau Gallois sur lequel est inscrit « Dieu a créé Michael Jackson le 29 août 1958 et, soudainement, le 25 juin 2009, il nous l’a repris. »  Entre deux ou trois boniments religieux, elles confient qu’elles sont tristes et bouleversées mais tout de même heureuses d’être là, avec des tickets.

 

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Vers 6h30, je discute avec Joey et Jason, arrivés de Salinas, à 6 heures de L.A. Ils sont passés par Neverland la veille, leur pélerinage a commencé il y a deux jours déjà. Tous deux portent une veste Thriller, ainsi qu’un chapeau et des gants blancs. Les voilà prêts à attaquer la vente de badges pour financer leur périple. C’est vital pour eux d’être présents. Ils ont pris des congés pour l’occasion. Ils seraient venus coûte que coûte.

A côté d’eux, Carlos et Salvador – deux autres vendeurs – s’installent. Ils ont floqué beaucoup de T-shirts et montent une véritable petite boutique sur le trottoir. Les inscriptions sont toujours un peu les mêmes : « in memory of the king of pop« , « MJ lives« , « you’re not alone« , « 1958-2009« , « remember« … Certains affichent simplement « Michael Jackson, RIP, Staples Center, July 7th 2009« . Pas de second degré dans le deuil. Même si tout le monde semble détendu et que l’ambiance est à la solidarité dans cette douleur partagée, il ne vaut mieux pas faire de remarque désobligeante sur leur dieu.

 

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Pourtant, alors que les trottoirs commencent à se surcharger et que la police parvient difficilement à garder les routes vides, un homme sud Américain d’une soixantaine d’années brandit bien haut un panneau demandant simplement « how could anyone honor this guy?« . Il répond volontiers aux attaques des fans et expose son point de vue passionnément.

Je suis d’ailleurs surpris qu’il soit le seul à militer dans ce sens ; si Michael Jackson s’est fait principalement connaître pour sa musique, il l’a été tout aussi largement pour ses procès pour pédophilie des dernières années.

A 7 heures, le bain de foule et pas mal de discussions interminables me poussent vers un café où je prends un petit-déjeuner à côté de quelques shérifs, d’une cinquantaine de policiers et de deux ou trois femmes d’affaires en plastique. Tous parlent bien entendu de MJ, mais aussi d’un concert de Madonna. « I’d knock that fagget out! » s’esclaffe l’un d’eux alors que les autres éclatent d’un rire gras et moqueur.

 

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De retour devant le Staples Center où, il y a un mois encore, Michael Jackson répétait son nouveau spectacle, je retrouve des visages devenus familiers. Il y a toujours Carlos et Salvador qui me reconnaissent et me posent à leur tour des questions, la plus marquante d’entre elles étant celle-ci: « Do you speak a lot of french in France?« . Il leur semblait ahurissant qu’on puisse parler autre chose que l’anglais en Europe. Pas de doutes, je suis bien en Californie du sud.

Alors que nous discutons, une fille hurle et à peine ma tête retournée, je la vois qui tombe dans les pommes. Ses amis la regardent avec jalousie, sa sœur la retient, un ticket dans sa main. Une fois ses esprits récupérés, elle m’explique – à moi, mais aussi aux nombreuses caméras et micros prompts à s’incruster partout où quelqu’un a quelque chose à dire – qu’une vieille dame est venue vers elle et lui a offert un ticket, sans raison apparente. C’est le but de plus de la moitié des gens présents autour de l’entrée.

 

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A partir de 8h, les personnes possédant des tickets commencent à investir la salle. Les zones se resserrent, la police fait reculer les personnes sans autorisations. A ce niveau-là de la matinée, les reporters se jettent sur chaque excentrique, chaque sosie ou fanatique sans limites ; dans un coin, une groupie Japonaise est entourée de caméras, des dizaines d’objectifs braqués sur son désespoir.

Elle pleure, une pancarte suppliante entre les mains (« any spare ticket, I’m a passionate fan from Japan« ), son ricil coule le long de ses joues. Son accoutrement, qui pourrait passer au prime abord pour un déguisement, se révèle être en fait une sorte d’autel en l’hommage de son idole.

Ça fait quatre jours qu’elle est là. Elle ne parle pas un mot d’anglais. Sa tristesse est presque contagieuse et la regarder me met la larme à l’œil. A moins que ce ne soit le manque de sommeil.

 

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Le fanatisme de toutes ces personnes dépasse souvent l’entendement. Beaucoup en font des tonnes, hurlent, chantent, dansent… Chaque mouvement original attire l’attention des médias, et la foule, bien consciente de leur soif d’extravagance, en joue pleinement. Ceci s’apprend dès le plus jeune âge quand on vit à Los Angeles.

Un homme d’une quarantaine d’années porte un écran LCD autour du cou, une batterie dans le dos et des enceintes crachant ses morceaux préférés du prétendu « King of pop« . Chacun y va de son petit message, les hommes sandwiches s’additionnent les uns aux autres sur ce grand tableau désormais bien noir.

 

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Aux côtés du dénonciateur sud Américain, un jeune homme exhibe une pancarte qui demande « stop useing my taxes, millionnaires » en référence, entre autres, à cet événement qui coûte une fortune à la municipalité en l’honneur d’un chanteur visiblement sans importance pour lui.

En effet, le montant du dispositif  pour les funérailles est estimé à 2,5 millions de dollars (pourtant financé en partie par AEG, la société de production de MJ). Là aussi, pas de problème avec ceux qui l’entourent ; ils lui jettent des regards désobligeants mais en restent là.

 

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Vers 10-11h, le rythme s’emballe. Ça court dans tous les sens, les présentateurs cherchent l’image la plus forte en arrière-plan, et créent parfois même de petites mises en scène. On guette les anecdotes, une célébrité traînant par-là ou bien un fan au bord du suicide.

Alors que petit à petit, le Staples Center se remplit, à l’extérieur, c’est un hypermarché du souvenir qui s’improvise. Tout se vend, des montres MJ, des pantalons, des sous-vêtements, des robes, des casquettes, des lunettes, des foulards, des chapeaux et, comble du comble, un MJ Cola dans des bouteilles faites pour l’occasion et ces femmes qui poussent des caddies/barbecue sur lesquels elles font cuire des épis de mais et des saucisses… Chacun fait sa pub, des tracts sont distribués pour tout et n’importe quoi… Sans scrupules.

 

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Et puis, tout se calme. Des milliers de personnes restent du mauvais côté des barrières, même ce groupe de Chinois qui transportent pourtant une banderole énorme signée par le fan-club officiel de Michael Jackson en Chine. Par bouche-à-oreille, on a annoncé la retransmission des funérailles.

Plusieurs fausses alertes. Des applaudissements débutent sans raison, les bras se tendent, les larmes coulent, jusqu’à ce qu’enfin, les bars soient pris d’assaut. Sur les petits et grands écrans apparaît pour la première fois le cercueil en or à 25000$ et la « famille » Jackson réunie.

 

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Les fans en sanglots s’agglutinent devant le moindre écran de téléphone et se consolent les uns les autres.

La foule est maintenant accaparée par ces images retransmises dans le monde entier.

Je n’ai plus aucune raison d’être là.

 

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TEXTE & PHOTOGRAPHIE – ÉRIC ANTOINE
Un article paru dans le magazine papier Maelström #03 / graphisme.

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