shoot – shot – shoten
Larry Clark a accouché de Tulsa, Harmony Korine, Kids et bon nombre d’imitateurs qui ont fait du Larry Clark. Mais il était là le premier.
Dans les années 60, il prend ses amis en photo, à Tulsa, le bled de l’Oklahoma où ils vivent, éponyme du livre qui sortira en 1971. Stupeurs et tremblements, l’Amérique se prend cet ouvrage de plein fouet. Les images de substances qui s’infiltrent dans les bras de jeunes Blancs paumés et résignés met le pays face à un fléau qu’il a nié depuis trop longtemps. Le livre aura été un révélateur.
La deuxième semonce, c’est le film Kids en 1993. L’univers du skate, sa pratique marginale et ses personnages passent à la postérité en une heure et demie. Sur fond de SIDA, de violence et de drogue, Larry Clark adapte un scénario d’un ado magnétique et en fait un film générationnel. Un long-métrage qui dépeint une société en crise, via un petit groupe d’ados qui arpente les rues de New York. Il y aura un avant et un après.
Le film choque, sa violence, sa crudité, son intensité. Clark capte un moment, une tranche de vie et en fait un manifeste. Incompris et rejeté, le film comme son réalisateur vont diviser. Clark sera tour à tour déviant, dérangé et pédophile. Tricard. Il tient bon et persistera.
Avec le recul et les années, Kids devient culte, pour les skateurs, ceux qui fantasment sur eux et les autres. Clark a su repérer les premiers soubresauts d’une tribu qui émerge, et sera un véritable marqueur culturel. Il repère ceux qui resteront, ceux qui disparaîtront, et gardera jusqu’à aujourd’hui un œil bienveillant sur eux (et eux sur lui).
Avec peine, perte et fracas, il enchaînera les films, plus ou moins bons, avec plus ou moins de moyens, et mettra toute son énergie pour qu’ils existent. Another day in paradise, Bully, Marfa Girl, toujours des tranches de vie de vies brisées, du sexe avec ou sans amour, du rock and roll, saupoudré de nihilisme crasse. On ne croit en rien, on vit plus ou moins vite et mal, on ingurgite ce qu’il y a à prendre. Larry met en scène un monde oublié, défectueux. Les jeunes font du skate et s’éclatent, les MILF lorgnent et les filles subissent, souvent. Ils sont toujours Blancs et délaissés, excentrés, hères errants.
Le film Wassup Rockers sera un tournant. Le réalisateur se perd à Los Angeles, dans les bas-fonds, et focalise à nouveau sur une petite bande. Ils sont Angelino-Latino-Américains, énergiques et frondeurs. Ils sont punks, comprimés dans des jeans et écoutent du punk rock. Pas de bandanas colorés, de débardeurs immaculés assortis aux chaussettes blanches et hautes, le short ample et les lunettes noires. Ce ne sont pas des gangsters, et ne le seront pas.
Avec ce film imparfait et brut, Clark met de nouveau le doigt et jette un œil sur un microcosme à contre courant. Sa spécialité. Entre documentaire et fiction, on imagine que le tournage est dispersé, étalé et éparse. Néanmoins le vieux fouineur y trouvera une muse en la personne de Jonathan Velasquez, qui saisira l’opportunité de s’extraire d’un destin auquel il était réduit. Suit Marfa girl, diffusé sur internet, faute de budget. Sexué et poétique.
Larry ayant des soutiens indéfectibles en France, c’est à Paris qu’il tournera The smell of us en 2013. Il reprend la recette Kids, mais mélange mal les ingrédients. La formule a vieilli et elle est obsolète. Jeunes trop propres, skateurs du dimanche, Français et déprimés (et déprimants). Erreur de casting, couac, quiproquo, rumeur et polémique. Ça périclite, pour mieux refaire le match en modifiant les équipes. Ça repart en Amérique pour quelques points de sutures, ça souffre, ça sombre. Pourtant Larry va y arriver, et revient. Son film verra le jour. Son goût sera amer. Probablement raté, déconnecté et moins réussi que les précédents.
Ça reste du Larry Clark, avec des incongruités et ces images affligeantes qui font la force du réalisateur. Histoire loufoque d’ados des beaux quartiers qui escortent des vieux messieurs, images froides et mal (r)accordées, un zeste de Pasolini et une vioque dans le plus simple appareil. C’est moche, insupportable, et d’une insidieuse violence qui témoigne de la capacité de l’artiste à choquer depuis plus de 40 ans, pour la bonne cause, une cause, un témoignage.
PS : Tout ceci devait annoncer la venue de Larry Clark à Paris pour vendre des tirages argentiques. Au prix de 100 euros. Ça ne vaudra guère plus dans quelques années, mais ça fera toujours bien sur la cheminée. En bonus, il se confie dans le podcast, et comme tout bon Américain il a l’anecdote facile.
Hamilton Harris, qui jouait dans Kids, essaie de monter un docu sur la fabrication du film.
#UPDATE #OCTOBRE #2017 -> Larry Clark vend de nouveau des photos à 100 euros [17/23 octobre] / Il expose le 04 novembre à Paris