JB Hanak | Tu seras sumo

Tu seras sumo / Shinbö - dDamage

 

 

En salle depuis quelques semaines, le film Tu seras sumo suit le parcours d’un jeune lycéen qui devient sumo, parce que son père en a décidé ainsi. C’est une française qui a réalisé ce film, Jill Coulon, pendant que JB Hanak a concocté la musique. En voici un peu plus sur cette bande son discrète, lancinante et doucereuse.

 

* JB, comment tu t’es retrouvé à faire la musique de ce film ?

Alex, un ami à moi, de nationalité française, est parti vivre 7 années au Japon pour tenter d’y faire carrière. Sur les dernières années, il était monteur vidéo pour une chaîne de télévision japonaise. A cette période, il a rencontré Jill Coulon et son producteur Thomas Balmès qui étaient en plein tournage du film pour la NHK. C’est après cette rencontre qu’il a été embauché pour le montage du film. A son retour en France – le film a été monté en France, c’est une coproduction franco-Japonaise entre la NHK et une boite de production française – je lui ai rendu une visite d’ordre amical.

C’est là qu’il m’a montré les rushes du film et je suis immédiatement tombé amoureux du projet. J’ai proposé mes services pour l’illustration musicale du film, j’ai travaillé sur quelques séquences tests qui se sont avérées être concluantes et j’ai été embauché pour le job. J’ai travaillé en majorité sur le projet, mon frère Fred [second membre de dDamage – ndlr] m’a prêté main forte sur quelques morceaux.

 

FRED & JB HANAK > dDAMAGE

* Comment on appréhende un tel projet…

Pour l’illustration musicale du film, la réalisatrice avait à la base accès à une banque de musique traditionnelle libre de droit. Elle n’était pas spécialement partante pour ce choix proposé par sa boîte de production. Elle y voyait une illustration caricaturale de son propos. Donc, au moment où j’ai intégré le projet, elle était résignée à faire un film sans musique. Nous nous sommes très vite accordés sur un point : l’univers du film a beau être dans la tradition japonaise la plus totale, il n’empêche qu’il s’agit avant tout d’un sujet lié au parcours de Takuya – le protagoniste -.

Avant d’être un film sur le sumotori, Tu seras sumo est un documentaire sur le passage de l’adolescence à la vie adulte, dans une société extrêmement codifiée. On peut voir au travers de Takuya – ainsi que des personnages secondaires – des entités partagées entre leur responsabilités de sumo en devenir dans la société japonaise et également des adolescents en phase transitoire. Ils sont constamment accrochés à leur smartphones, passent leur temps libre à jouer aux jeux-vidéos, etc. Raison pour laquelle Jill Coulon m’a demandé de faire rentrer en confrontation la musique électronique – ou musique actuelle – avec mes pans d’inspiration de musique japonaise.

Personnellement, j’ai toujours été fasciné par l’œuvre de Geinoh Yamashirogumi – ensemble ayant réalisé la bande originale du film Akira, mais pas que… -, les entreprises de réinterprétations du traditionalisme musical japonais par le label Tzadik, ou encore l’œuvre de Joe Hisaishi qui a toujours été un pied dans le passé et un autre dans l’innovation musicale. Partant de ce principe, j’ai tout naturellement évolué dans un processus de composition encré dans un rapport de confrontation, de lutte. Sur le dossier de presse du film, la bande originale est décrite comme « une pièce classique guidée par l’instrument numérique », ça me convient tout à fait.

 

* Tu es connu en tant que moitié du groupe dDamage, à la musique forte et violente ; pour ce film, l’ambiance est feutrée, discrète, et intime, à l’instar de tes projets en solo… C’était une volonté d’être en empathie avec ce jeune garçon ou donner une ambiance au film ?

Aucune empathie, non. Je me dois d’ailleurs de préciser que la musique a été composée en parallèle au montage du film. Donc, jusqu’à la dernière note enregistrée, je n’avais toujours pas vu le film terminé et ne connaissais pas l’issue de l’histoire que celui-ci raconte. Par contre, concernant l’ambiance très délicate, mélodique et posée de la musique de ce film, je pense que c’est quelque chose qui a toujours été présent dès les premiers albums de dDamage. Après, il est vrai que mon groupe dégage avant tout une image de « violence musicale ». Mais la violence en tant que telle ne nous a jamais intéressés – si tant est qu’on la considère comme une fin en soi -.

Au travers de n’importe quel morceau « violent » de dDamage on peut trouver une trame mélodique et sensible en filigrane. Tout comme, depuis nos débuts, il existe des morceaux de dDamage très calmes, qui dissimulent une certaine violence qui hurle en tréfonds. Je pense que la bande originale de Tu seras sumo illustre cette dernière catégorie de morceaux de dDamage. Et, effectivement, c’est la première fois qu’on sort un disque exclusivement constitué de morceaux de cette trempe, j’espère que cela permettra au public de sortir légèrement de cette vision caricaturale de violence qu’on a un peu trop tendance à nous coller aux baskets.

 

* Étonnement la musique est très discrète dans le film, et elle se suffit à elle-même lorsqu’on l’écoute au calme, au casque. Travailler la musique à l’image, où est la difficulté ?

Le directeur des Qwartz – partenaires sur la sortie de la B.O. – m’a récemment dit : « Après avoir vu le film, j’ai réalisé que je n’avais pas fait attention à la musique ». C’est quelque chose que j’ai pris comme un grand compliment. Il aurait été vain d’étouffer les images. Ceci étant dit, la seconde réussite est que la musique vit d’elle même lorsqu’on l’écoute séparément.

Pour ce qui est de la méthode de travail, je n’arrêtais pas de réécouter les morceaux avec ou sans les images. Je basculais de l’un à l’autre en permanence pour, au final, juger que le morceau était terminé lorsqu’il fonctionnait dans les deux situations. Cela entraîne beaucoup plus de travail que lorsqu’on fait un disque.

 

* On retrouve dans le film la musique qui avait été synchro pour le parmegiano Mc Donald’s, c’est une musique qui fait grossir ?

Le morceau Aeroplanes a été synchronisé pour cette publicité Mc Donald’s. En rien nous ne l’avons composé pour ce spot de 2010 – la version originale du morceau date de 2004 -. C’est une composition qui a pour but de développer un sentiment d’élévation. La métaphore fonctionne parfaitement avec les sumos qui incarnent un fantastique paradoxe entre apparence physique et spiritualité. Pour Mc Do, le paradoxe est de faire croire que tu te sentiras moins lourd après avoir consommé leur sandwich. Je te laisse réfléchir là-dessus.

 

* Tu es allé de nombreuses fois au Japon, d’avoir une connaissance de ce pays t’a permis d’adapter ta musique ?

Cela m’a avant tout permis de comprendre qu’une compo d’inspiration « traditionnelle » pour le film de Jill Coulon serait vaine. Ma connaissance du pays et mes longues histoires d’amitiés avec beaucoup de japonais m’ont permis avant tout d’être en phase avec le sujet lors de la composition de cette B.O. Le Japon incarne aujourd’hui à mes yeux, de manière tragique, le paradoxe entre traditionalisme et modernité. Il y a une violence terrible enfouie au cœur de cette société, en apparence si paisible. Raison pour laquelle je me suis immédiatement senti à l’aise dans une thématique que je ne maîtrisais que très peu (le sumo).

Au final, je le répète : d’un point de vue narratif, ce film est largement plus qu’un documentaire sur le sumotori. Il y a quelques semaines, un article assez négatif est tombé dans les Inrockuptibles. Le journaliste s’y trouvait extrêmement déçu de ne pas y avoir vu plus de match et plus d’action. De son point de vue, le film lui apparaît creux car il focalise trop sur le quotidien du protagoniste… J’ai trouvé ça fort dommage. Non pas parce que l’article est négatif – avec 13 années de carrière j’ai fini par avoir l’habitude de ne pas pouvoir plaire à tout le monde -, mais surtout parce que j’avais le sentiment que ce journaliste était passé complètement à côté du film.

 

De nos jours, Takuya illustre une facette extrêmement complexe de la société japonaise, quelque chose d’ancestral qui a toujours été présent dans ce pays et qui mue avec l’évolution de la société. C’est un adolescent brisé par des choix qui ne sont pas les siens : les choix de son école, de son père, de ses sponsors, du maire de sa ville, de la politique du pays – force économique et volonté de développement démographique sont représentées de manière saisissante dans ce film… – On y voit aussi un principe de résignation, à la foi en lien avec une société qui avance et l’absence de la mère récemment décédée. L’impossibilité du dialogue avec le père, aussi. Cela va même jusqu’à l’abandon de sa propre identité – on impose aux sumotoris l’image qu’ils doivent dégager lorsqu’ils ont des conversations dans le civil –.

La société japonaise m’a toujours laissé le ressenti d’être quelque chose de très paisible recelant une violence extrême. C’est un détail crucial, que j’ai immédiatement retrouvé dans le film de Jill Coulon. Raison pour laquelle je considère que son film est en plein dans le sujet ; et que ce film aurait pu être à propos d’un joueur de Baseball ou d’un apprenti Rakugo, le propos aurait été le même et tout aussi saisissant.

Tu seras sumo illustre un violent passage à la vie adulte, dans le Japon d’aujourd’hui. Je considère ce film comme une illustration de notre époque, quelque chose de générationnel allant largement plus loin que la thématique énoncée. Je bifurque légèrement, mais j’aimerais parler d’un film que j’ai vu hier au Festival de Films de Femmes. Pretty en Rose dernier documentaire en date de Angélique Bosio. C’est un film sur Fifi Chachnil, créatrice de sous vêtements féminins. En apparence, tout me laissait à croire que j’allais m’emmerder – 80 minutes sur la création de lingerie – . J’ai cependant trouvé ce film passionnant, car il dévoile avant tout le portrait d’une femme ayant passé sa vie à défendre une œuvre singulière, extrêmement solide et en dehors des tendances. Un parcours pouvant se résumer à la force et à la détermination.

J’ai été incroyablement touché par ce documentaire. Je pense qu’on a ici un très bon exemple de vocation de documentariste : développer un portrait duquel se dégage un discours profond, quelque chose qui reste au travers du temps. La force de ce documentaire va jusqu’à saisir l’attention de spectateurs qui ne sont pas spécialement concernés par le sujet développé. Cela permet d’aller bien plus loin que le public conquis d’avance par le sujet énoncé, j’y vois là une réussite.

Donc voilà, si ce journaliste des Inrocks veut voir plus de combats de sumo, il peut toujours regarder Eurosport ; et si un documentaire va jusqu’à l’exploitation cinématographique en salles, c’est bien parce qu’il développe largement plus que ce qu’on trouve dans un simple reportage.

 

* Tu as raté ta carrière de sumo, tu es content d’avoir pris ta revanche ?

Hahahahaha ! Non ! J’ai foiré ma carrière de scrimisseur. Cher ami, j’ai pratiqué l’Escrime quinze années de ma vie ! Avec les années j’ai atteint le niveau de Maistre joueur et escrimeur d’épée. J’ai d’ailleurs grand plaisir à t’apprendre que mon Maître d’Armes était le même que celui de Jean-François Lamour.

 

* Pour finir : quel est la chose la plus étrange que tu as mangé au japon ?

Des crevettes vivantes, qui bougeaient encore dans mon ventre quelques minutes après les avoir avalées. Ce fut accompagné d’un Saké 20 ans d’âge à la poudre d’or. Mon seul regret fut de ne pas avoir pu faire de fibroscopie en direct, je pense que ça aurait fait des images de clips super Kawaï.