Digressions avec Bernard au Dalou [2/5]

Bernard Fèvre

épisode 02 : Giordano, Vartan, Sheila & Gainsbourg

 

Le label Alter-k réédite trois albums de Bernard Fèvre / Black Devil Disco Club, parus il y a 40 ans. C’était L’occasion de croiser de nouveau ce musicien à la septième décennie imminente. Son Parcours est une belle histoire, avec des belles histoires et des anecdotes. Ça se passe en terrasse de la brasserie le Dalou à paris.

Un deuxième épisode qui revient sur le projet des rééditions, Jacky Giordano, les compétences de Sylvie Vartan et Serge.

 

« On entend toujours des disques mal gravés de ce que j’ai fait. Les vinyles étaient de mauvaises qualités, c’étaient des productions à bas prix, low cost ! Je voulais entendre ma musique avec un bon son, et en plus je n’ai jamais fait un centime avec ces musiques.

Quand Jacky Giordano a commencé à avoir des procès, il a revendu une partie de son catalogue à un certain Jean-Claude, qui avait un label. Olivier et Guillaume du label Alter-K ont travaillé pendant trois ans pour qu’il accepte de céder les bandes originales, qui se trouvaient dans un hangar, en banlieue. J’étais très content de les retrouver impeccables, 10 pistes, mais pas séparées.

J’ai eu un 16 pistes, acheté par Giordano, et je n’ai jamais pu en tirer quoique ce soit. Je l’ai jeté pour me mettre sur ordinateur et à partir de là, ça a changé ma vie ! Et je suis un peu désolé car Giordano ne l’a jamais payé. Le disque Black Devil Disco Club a été fait dans le studio de ceux qui ont vendu le fameux 16 pistes. L’ingénieur du son était un jeune garçon, il a fait un mix qui correspondait à ce que je voulais faire, et pas celui d’un vieux con qui n’aime pas le synthé. D’ailleurs, je l’ai retrouvé sur Internet et on s’est parlé au téléphone.

Le premier Américain qui trouvait génial ce que je faisais travaillait au studio Davout. On a fait des trucs ensemble, il parlait français. Un mec de Chicago. Un jour il me raconte qu’il a enregistré Sylvie Vartan au mot à mot ! Même pas phrase par phrase ! Au mot à mot ! Avec un ordi c’est facile, tu fais 127 prises, ensuite tu colles. Mais à l’époque, avec de la bande magnétique, c’était un autre travail ! Avant on travaillait beaucoup à la fabrication, maintenant tu fais les notes et tu les bouges.

 

« D’ailleurs, tu sais que le producteur de Sheila
n’a jamais pensé que le talent était important. »

Ce que j’ai voulu pour ces rééditions, c’est de me rapprocher de l’écoute d’aujourd’hui sans déflorer la magie du son d’hier. Comme ça n’était pas un truc ringard, c’est possible. Si ça avait été André Verchuren, ça aurait été difficile de le faire sonner correctement.

Donc, Olivier me dit qu’il faut faire numériser les bandes, trouver un ingénieur pour mixer les morceaux et masteriser. Finalement, je trouve à Châtelet une petite boite et le mec a numérisé la bande en partant d’un Revox, ça m’a coûté 50 euros. Les vieux c’est intéressant car ça connaît des trucs. Ensuite j’ai souhaité faire le mastering, Olivier voulait que l’on prenne un studio, il m’a gonflé et je l’ai envoyé chier… Finalement quand je lui ai envoyé le résultat, il était content.

Un rappeur américain, qui vend des millions de disques, voulait utiliser un sample de ma musique, mais il fallait la signature de Giordano. Comme il est mort, et que sa famille ne veut rien reprendre de son passif, ça n’a pas été possible. Même si Alter-K a réussi avec la SACEM à avoir l’autorisation d’utiliser les morceaux que l’on a fait ensemble, avec les Américains il fallait les signatures des deux auteurs. C’est pour éviter ces problèmes que l’on a fait ces rééditions.

Alter-K ont très bien travaillé pour ce projet, ils sont respectueux du temps que je leur ai laissé pour le faire. Je savais que contre les escrocs du show-business français, il faut du temps. C’est un peu comme le loto, ça peut rapporter beaucoup ! D’ailleurs, tu sais que le producteur de Sheila n’a jamais pensé que le talent était important. Il allait voir sa voyante quand il sortait un disque, et c’est elle qui disait ce qui allait marcher ou non ! C’est un drôle de pays !

 

« Gainsbourg est l’exemple de ça, il travaillait avec le passé, le présent et un peu l’avenir. »

Tu te souviens de l’intention que tu avais quand tu as fait cette musique ? – J’ai fait à l’instinct, j’avais envie de faire ce qui me passait par la tête et j’avais le pouvoir de le faire. C’est pour ça que j’ai été en avance. Je voulais que ce soit surprenant, c’est ce que j’aime avec la musique, les gens, les filles, la nourriture… J’avais aussi en tête le fantasme de l’an 2000. On rêvait de voitures qui volent, de progrès ; on a eu des avancées, mais finalement pas de changements.

On est né après la guerre, on était plein d’imagination, d’envies, et on voulait donner un coup de pied dans la fourmilière, mais sans éliminer le passé. C’est la différence avec aujourd’hui il me semble. Je m’aperçois que certains jeune veulent avancer, en éliminant le passé. Nous, on ne voulait pas jeter la culture de nos parents. Gainsbourg est l’exemple de ça, il travaillait avec le passé, le présent et un peu l’avenir. Quand il s’est penché sur la pop anglaise, il a continué à faire de la chanson française, il n’a pas chié sur tout ce qu’il y avait eu avant. »

 

Bernard Fèvre

 

[LA PREMIÈRE RENCONTRE AVEC BERNARD.]