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BAULT

« Je ne ferai que mentir pour cette interview ! »

 

« En ce moment je lis une biographie de Basquiat. Le mec a raconté plein de conneries aux journalistes, à chaque fois il changeait de versions. Il y a encore des passages de sa vie qui sont troubles. C’est un livre qui est sorti récemment, ça parle de son enfance, des débuts du graffiti et de la situation des Noirs aux États-Unis, c’est très bien expliqué. »

 

* Tu as connu quand le travail de Basquiat ?

Basquiat, j’ai connu au lycée j’imagine. Et c’est surtout à la rétrospective au Musée d’Art Moderne de Paris, fin 2010, que j’ai pris une claque. Tu sens ses origines haïtiennes, le vaudou, la violence, et sa réflexion sur l’art et la société, c’était un génie.

 

* Et il se passe quoi pour toi avant Basquiat ?

Ma première approche picturale, c’est mon père qui dessine. De façon amateur. Très académique et virtuose. Il faisait de l’aquarelle, ce qui m’a toujours fasciné. C’est vraiment très technique : tu révèles le blanc par le papier. C’est des glacis, des superpositions de couches, c’est cérébral ! Mon père voulait être décorateur, mais on ne lui a pas laissé le choix, on lui a dit « tu vas bosser à l’usine ! »

Le premier truc que j’ai vu et qui m’a marqué, c’est du Combas. Robert Combas. Quand j’étais gamin mon père allait beaucoup dans les musées, et ça me faisait chier. Un jour, à une expo, il y avait un Robert Combas, juste un. Et là je me suis dit « c’est génial », et il paraît que j’en ai parlé pendant des jours.

C’est le premier choc. Et je trouve qu’il y a un lien entre Combas et Basquiat : le coté jeté, primitif, naïf mais pas tant que ça, et le cerné. Ce sont des coloristes. Tu as le tracé, noir et nerveux, qui vient sublimer le tout. Combas c’est ça : du contour noir qui coule. C’est ce que j’aime.

 

ROBERT COMBAS

Robert Combas

 

* Le dessin est une tradition familiale, tu as réalisé le rêve de ton père ?

Non, pas du tout, je n’ai pas vécu dans la pression du père, j’étais libre. Famille de gauche, athée, Sud Ouest middle-class, où on m’a dit « si tu veux croire en Dieu, tu crois en Dieu, si tu veux être pompier, tu seras pompier. »

L’envie est probablement venue de voir mon père dessiner. Et j’aimais beaucoup les BD, puis j’ai commencé à me passionner pour les fanzines. J’ai fait des fanzines débiles au lycée, à la Exposure. Ça parlait de fiestas, de fumette, de trucs absurdes.

 

* Dans la BD, quels auteurs tu aimes ?

Il y avait les lectures de mon père : Hara Kiri, Reiser, Manara, Hugo Pratt, mais la grosse claque ça a été Nicolas de Crécy.

Nicolas de Crécy et sa première BD, Le Bibendum céleste, c’est littéraire, absurde et le dessin est virtuose. Le monde est baroque, loufoque, avec des têtes coupées qui parlent, des phoques, des villes comme New York sur Loire. Et lui, il casse son style, il commence avec un truc très fouillé, des détails incroyables, puis il passe en deux couleurs, et ensuite à un dessin très naïf. Et j’ai aimé que le dessin soit aussi fin que l’histoire.

 

* Le fait de dessiner plusieurs styles, ça a été un déclencheur pour toi ?

Oui, mais il n’y a pas que lui. À partir du moment où tu utilises des modes de représentation différents dans un même dessin, je trouve ça génial. Picasso l’a fait, avec la maîtrise de la peinture. Toute sa vie, il a déconstruit les acquis qu’il avait.

Par contre je ne me suis jamais laissé tenter par la BD. Parce que c’est trop… solitaire. C’est une activité… dure, difficile. C’est lent, et c’est ce qui m’effraie le plus. Pour moi, la solitude du créateur de BD, c’est l’angoisse totale.

 

« Tu regardes, tu apprends et si c’est raté,
c’est raté, c’est pas grave. »

 

* Tu n’envisages pas la création seul ?

Si, car il y a une phase d’atelier qui est nécessaire. La phase de création ne peut-être que solitaire. Mais l’atelier te permet aussi de bosser avec plusieurs personnes. Du coup, dès que tu as une problématique technique, tu peux demander à quelqu’un. Je conçois l’atelier comme une activité solitaire, mais l’atelier ouvert, ça me plaît beaucoup comme concept.

L’atelier comme espace de résidence, il n’y a rien de mieux. Le graffiti le permet. Il y a ce côté gratuit quand on va peindre des fresques, et qui permet des collaborations. Si ça ne marche pas, ça ne marche pas. Et si ça marche, tu peux intervertir les dessins, faire les contours de l’autre.

 

* D’ailleurs tu collabores souvent avec des gens, avec Doudou Style qui a un style très différent du tien…

Les collaborations sur les murs, ce sont des histoires d’amitié. Tu fais connaissance, on a la même passion, et même si tu n’adhères pas à 100%, tu peux faire une fresque en commun.

Je crois surtout que tu apprends à chaque fois que tu fais une collaboration. Que ce soit avec un môme de 4 ans ou avec un artiste confirmé. Tu regardes, tu apprends et si c’est raté, c’est raté, c’est pas grave.

Quand j’ai commencé le graffiti, on n’avait pas le recul pour penser au fait que c’était raté ou non. On allait peindre, on était content, on prenait la photo et on disait « toi, tu as déchiré aujourd’hui ! » C’était une histoire de gentille compétition.

Dans un cadre plus strict, une commande ou un festival, c’est autre chose. Là, tu as une phase de réflexion, et quand on peint, même si on sait pertinemment que nos styles ne matchent pas, il faut trouver un truc pour que ça marche.

 

* Tu as fait beaucoup de graffiti ?

Oui, avant d’entrer aux Beaux-Arts, j’ai découvert ce mouvement à Toulouse avec la Truskool : Fafi, Tilt, Miss Van… D’un mur en briquettes rouges tu te retrouvais face à un Tilt super clean ou alors une nana de Fafi ou Miss Van, c’était un moment incroyable.

J’ai beaucoup tagué, et beaucoup de conneries. Pour l’adrénaline. J’ai fait quelques trains, mais ça ne me plaisait pas : trop rapide, trop tendu. Ça reste quand même fou de faire un train, ces moments de commando, c’est une certaine émotion.

À Sète, je suis devenu très actif, jusqu’à ce que j’entre aux Beaux-Arts d’Avignon. Là, j’ai découvert la gravure, l’eau forte, la sérigraphie et l’infographie. C’était le début de l’ordinateur, j’ai eu des bons profs et j’ai complètement bifurqué vers la vidéo et le son.

 

TILT

Tilt

 

* Tous ces moyens et supports se complètent ?

Oui, vraiment. J’ai fait de la vidéo avec Mihai Grecu pendant 10 ans, par intermittence. La base de nos vidéos, c’était le dessin : on notait nos idées, on dessinait et on appliquait ça en vidéo.

Ce qui est fou, c’est que tu as plein de paramètres : le son, le mouvement, la temporalité, la rythmique. Les derniers projets que l’on a fait, il y a un coté pictural et contemplatif, des plans de 30 secondes. C’est comme la peinture, tu as besoin d’y revenir.

 

* Il y a de la narration en vidéo pourtant…

Non, pas dans nos vidéos. Il y a une structure mais pas vraiment de narration. Il y a peu d’humains, et utilisés de façon sculpturale, comme des éléments de décors. On choisit des lieux spéciaux, j’ai toujours aimé faire ça : trouver des lieux, des objets, des personnes et les détourner de leur fonction.

Mon dessin, c’est aussi ça. C’est le décrochage. Tu commences à faire quelque chose, dans un registre réaliste, et tu vas décrocher, dessiner le contour d’une façon naïve ou finir d’une façon vaporeuse. Moins dans la technique, moins dans la réflexion.

 

* Tu agrémentes des styles, et aux animaux tu peux ajouter des bâtons pour faire les pattes, c’est de la fainéantise…

(Sourire.) Non, mais quand j’étais aux Beaux-Arts, on me disait toujours « il faut savoir s’arrêter. »

Tu peux faire des dessins qui ressemblent à des pièces montées, des prouesses techniques. Mais quand tu parles du hibou et de ses pattes, il y a une partie, le regard et la tête, qui est très travaillée. Et c’est ce que tu vois en premier. Le reste n’est pas réellement important.

Ça n’est pas par fainéantise… si un peu finalement ! C’est surtout faire un choix. J’aime quand il y a une altération, tac ! tu passes dans un autre monde. Je n’aurais pas vu des pattes réalistes sur ce hibou, et la preuve c’est que tu en parles, tu t’es posé des questions, c’est que ça fonctionne.

J’ai bossé avec des enfants, et jusqu’à un certain point tu ne sais pas vraiment ce qui va se passer. C’est l’attaque du stylo sur la feuille. Quand le dessin n’est pas encore formé, tu as ce truc et tu ne sais pas d’où ça sort. Ce sont des mécanismes à trouver, à retrouver, et à impliquer dans ton travail.

J’aime l’idée de la transmission, bosser avec des enfants en fait partie. Quand tu fais passer un truc, tu construis une petite marche, et ça j’aime bien, parce que je suis… – Un fainéant – non, enfin, si… Oui, j’ai déjà fait bosser des enfants ! « Tu me colories ça comme ça !… » (Sourire.)

 

* On te connaît pour ton étrange bestiaire, pourquoi tu as choisi les animaux comme sujet ?

Je ne suis pas un peintre animalier, je dessine. Avec les animaux, il y a une liberté de représentation que je n’ai pas avec un humain. D’ailleurs j’utilise souvent plusieurs animaux pour en faire un, je peux redessiner complètement des parties que je vais réinventer. Il y a cette liberté que j’aime beaucoup.

Si tu foires un peu la proportion d’un animal, sa tête par exemple, ça ne se voit pas trop. Si tu foires la proportion d’un visage humain, là c’est problématique.

 

« Ma vie est un carnet de croquis ; je note, je fais des essais,
je tourne la page, j’essaie autre chose, ça évolue… »

 

* Tu es concerné par l’écologie, tu recycles des objets, ton dessin est politique ?

Je ne fais pas de politique de façon frontale, je ne suis pas un activiste. Dans mes dessins, il y a un décrochement, plusieurs grilles de lecture, et je joue sur le coté flou et absurde du sens.

L’écologie, ça me préoccupe, mais ce serait plutôt une réflexion sur la nature humaine. Quand je représente des animaux, c’est comme La Fontaine. Il utilise les animaux pour parler des humains et de la société. L’animal permet de faire passer des trucs durs avec des représentations plus douces.

Je suis Aveyronnais, j’ai vécu dans un village, je suis préoccupé par les paysans de mon coin, les pesticides, comment on traite les sols. En 20 ans, j’ai vu l’évolution de mon village et ça me terrifie. Je suis préoccupé par l’architecture, pourquoi on impose tel bâtiment sans concertation, des barrages, des aéroports… Il y a des mouvements citoyens par rapport à tout ça, et je soutiens à 100%.

Je n’ai pas encore réussi à trouver un vecteur clair pour mettre mes idées personnelles dans mon dessin ; sans que ce soit trop littéral, ou moralisateur. Je trouve que les gens qui parlent de politique dans la rue, dans leurs fresques, c’est souvent un truc très manichéen. Et ça me fait chier que l’on m’impose des trucs. Je me tiens informé, j’ai des opinions personnelles, mais de là à les imposer aux gens…

Je suis dans une période où je me cherche, je peins d’une façon très boulimique. Je fais beaucoup de murs, de collaborations, et je réfléchis après. Ma vie est un carnet de croquis ; je note, je fais des essais, je tourne la page, j’essaie autre chose, ça évolue…

Mes dessins, aussi abstraits qu’ils puissent paraître, déglingos, décalés, contiennent toujours une idée, un rebondissement sur mon interprétation de la société. Je fais des trucs dans la rue, j’impose durablement une image à des gens, j’essaie d’avoir une lecture qui peut intéresser un enfant, et qui puisse faire réfléchir un adulte.

 

CHARLIE HEBDO

CHARLIE HEBDO

 

* J’ai lu que les événements de Charlie Hebdo t’avaient beaucoup perturbé…

Je suis athée, je ne voulais pas faire ma communion et on m’a laissé le choix. J’accompagnais parfois ma grand-mère à la messe, il y avait l’hostie à la fin, elle a refusé que je goûte et ça m’a marqué. Tous ces trucs religieux, ça m’a toujours travaillé.

Quand les événements de Charlie sont arrivés, j’étais en train de préparer une expo pour Le Cabinet d’amateur. Un truc très coloré, très esthétisant, avec des animaux, des univers très poétiques. Il y a eu ce truc, on était dans l’atelier avec un pote, et pendant une semaine, c’était France Info en boucle. On a été complètement obnubilés. Mon père a pleuré quand il a su, c’était son enfance. Nous, on a grandi avec Récré A2 et Cabu. Quand tu es gamin, Cabu, c’est une étape consciente.

Nous, créateurs, on se doit de répondre à ça avec encore plus d’ouverture. Les réactions primaires, ça a été un rejet total de l’arabe, du musulman. C’est un complet amalgame de tout. On a le besoin de reprise de liens entre les communautés, et si l’art que l’on fait peut amener ça, on doit le faire. Quand on va peindre dans des quartiers populaires, il y a ce lien que l’on crée avec les gens, et c’est très important de ne pas le perdre de vue.

 

« [Popay] c’est le Goya du graffiti comme on dit ! »

 

* Tu es à l’aise dans les lieux alternatifs, sur une feuille ou sur un mur, tu as un support de prédilection ?

Le mur, c’est sûr. Sur le mur, sans commande, sans enjeu, il y a cette liberté de mouvements, que tu n’auras jamais sauf si tu t’appelles Pierre Soulages, et que tu as un châssis de 8×10 mètres. Sur le mur, tu peux tout faire : au pulvérisateur, au burin, à la bombe… La liberté de tout ça, c’est le mur. Et il y a la gestuelle. Il y a quelques jours, j’ai fait un énorme animal, bleu. Il faisait six ou sept mètres de long, et tout le dos je l’ai fait en courant. J’ai couru d’un bout à l’autre pour faire le trait.

Le papier, la toile, c’est hyper castrateur, et personnellement ça me conditionne. On est dans un support qui a été acheté. C’est aussi pour ça que je récupère beaucoup d’objets, et je les traite bien, je les nettoie, je les vernis, tout un process pour qu’ils soient beaux.

Les lieux alternatifs, je ne connaissais pas avant Le Bloc à Paris. C’est un réseau incroyable et ça a décuplé mes contacts, ça a changé ma pratique. Dans ces lieux, il y a des gens dans une précarité extrême, des créateurs, des mécanos, des électriciens, des sérigraphes, des mecs très technologiques qui impriment en 3D. Ça marche à l’humain. Et il y a ce truc de recyclage. Les objets arrivent, ils sont dispatchés, repensés, réutilisés.

Avec un lieu alternatif comme La petite maison, toute la rue va se trouver changée. Au Hangar 56, il y avait 22 artistes, très professionnels, ils organisaient des activités et des événements toutes les semaines. Ils ont fait vivre les commerçants pendant un an, même le Dia d’en face a ouvert le dimanche. Quand tu vois le nombre de lieux inoccupés dans une ville, où le logement est problématique et prohibitif, c’est un scandale. Je soutiens à 100% les initiatives alternatives.

 

* Tu es venu à Paris pour ce genre de lieux alternatifs ?

Je suis venu à Paris pour les copains. C’est l’apport culturel qui est important ici, ça n’existe pas dans les autres villes de France. Les claques artistiques, c’est à Paris que je les ai prises. Et tu croises des mecs déterminés, axés dans les mêmes rouages. On bosse H24, on ne vit que pour ça, on ne fait que ça. Ici ça grouille, c’est l’avantage et l’inconvénient.

 

* En préparant cet entretien, on m’a dit « Bault, il dégueule sur les murs… »

(Rires.) Ouais, il y a de ça, je peux passer deux jours sur une fresque, 20 heures de peinture, ou ça peut être une demi-heure, et des fois c’est souvent mieux.

J’ai eu un taf de graphiste il y a quelques années, très stressant ; c’est à ce moment-là que je suis retourné dans la rue, pour purger tout ça. S’il y a un truc de dégueuler, de jeter, ça vient de là. J’ai toujours voulu retrouver sur les murs ce que je fais sur le papier. La force d’un croquis à la bombe sur le mur.

 

POPAY

Popay

 

* Ah mince, on a oublié de parler de Popay…

C’est le Goya du graffiti comme on dit ! C’est l’un des meilleurs coloristes et dessinateur du monde… non, j’en sais rien ! Chaque dessin, chaque fresque, je suis en admiration. Il maîtrise la couleur et le flou, il y a toujours un côté vaporeux, dans la vaporette, un effet dans la lumière, les reliefs sont incroyables. Je ne peux pas en dire grand chose, je ne le connais pas vraiment.

 

* La liberté revient souvent dans tes propos, c’est important ta liberté ?

Pour le moment, je suis dans une phase de collection. Je collectionne les écritures, les personnages, les motifs, je cherche des moyens de signifier, et ça passe par l’expérimentation, obligatoirement. Les rencontres, les collabs, les lieux, ça te permet d’avoir un regard privilégié sur ce que font les autres, et j’ai beaucoup appris des autres… c’était quoi ta question ?! – la liberté –.

La liberté… je fais de la batterie depuis que je suis ado et je n’ai jamais pris un cours. Je n’ai pas le temps, mais je joue tous les jours. Le côté je tape sur des machins, le côté rythmique, il y a un peu de ça sur le mur. À partir du moment où il faut faire du remplissage, des trucs techniques avec des angles droits, ça ne me plaît plus du tout.

J’ai beaucoup fait de graffiti sous les railleries et quolibets de mes amis, parce que j’utilisais l’acrylique, un pinceau ou de la craie. Je ne m’interdis rien en terme de techniques, mais je ne me sens pas dans l’obligation de faire des lettrages typiques. Je ne suis pas dans les systèmes de représentations standards, j’essaie de trouver des systèmes.

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