Yan Wagner, conversation

48 heures de plus

 

Yan Wagner a plusieurs atouts : une manageuse qui slame au-dessus de la foule en délire dès qu’elle en a l’occasion et qui croit beaucoup en lui, Gerald Donald l’a remixé, il est talentueux, sympathique et il fait de la bonne musique. Yan a été vu, souvent tardivement, dans tout un tas de clubs de la capitale et de Navarre, avec son clavier et sa boîte à rythmes pour des concerts solitaires. C’était dans le courant de l’année 2010.

Ensuite, il s’est consacré à son premier album, avec Arnaud Rebotini et son imposante moustache à la production, et comme unique invité, un Étienne Daho et sa suave voix. Forty Eight Hours est disponible depuis lundi, cette conversation vous donnera une raison de plus de vouloir découvrir ce disque.

 

*La musique, ça a commencé comment pour toi ?

Comme beaucoup de gens : un concert. Un cadeau d’anniversaire de ma mère pour mes 13 ans. Je suis allé au Bataclan voir les Chemical Brothers, pour leur deuxième album en 97. Un énorme choc, assez inexplicable. Je voyais des mecs tourner des boutons, ça déclenchait des trucs dans le public qui étaient complètement incroyables. Ça m’a donné envie de faire la même chose. J’ai économisé, j’ai acheté un synthétiseur et j’ai commencé à faire des trucs chez moi. J’avais aussi des potes au collège qui faisaient de la musique, je me suis dit que ce serait con de ne pas jouer avec eux. Une sorte d’émulation. Je me suis mis à faire du piano, en apprenant tout seul. Et voilà comment ça a commencé. Ce concert a été un choc et une évidence, j’ai eu envie de faire ça d’un seul coup.

 

*Pourquoi The Chemical Brothers ?

Bah, ça, il faudrait demander au Yan Wagner de 13 ans, je ne sais pas pourquoi. Ça me plaisait bien, j’aimais les sensations que ça procurait. En concert, à l’époque, c’était énorme Chemical Brothers, les basses fréquences te rentraient dedans, c’était très physique. J’aimais bien leur musique, leurs deux premiers albums, ce sont des disques que j’aime beaucoup. Je peux toujours les écouter, même si ça a vieilli. Par eux, j’ai découvert plein d’autres choses, comme New Order, qu’ils n’arrêtaient pas de citer, comme ils sont aussi de Manchester. J’ai découvert aussi pas mal de hip-hop, car ils utilisaient des samples tirés du rap. C’était une sorte de carrefour, plein de gens qui écoutaient du rock ce sont mis à la techno grâce à eux. Pour moi, ça a ouvert des portes, à une époque où je m’intéressais moyennement à la musique. C’est le moment où on se fait ses goûts, c’était un super cadeau d’anniversaire !

 

*Qu’est-ce que l’on comprend de la musique à 13 ans ?

Ce que j’aimais bien dans ce concert, en y réfléchissant, c’est le côté un peu abstrait, assez difficile de savoir ce qu’ils font. Et impressionnant aussi. Ils avaient un set-up incroyable, plein de machines. D’ailleurs, il y a eu des rumeurs disant qu’elles étaient en carton !

En tout cas, sur moi, ça a vraiment fonctionné, un côté vaisseau spatial, les mecs actionnaient deux/trois manivelles et ça explosait dans la salle. Les guitares ne m’ont jamais vraiment excité, même encore aujourd’hui, j’en ai un peu rien à foutre. Alors que les machines, dès la première fois que j’en ai vues, j’ai eu envie d’y toucher. Même leur attitude sur scène, elle était anti rock-star : ils sont arrivés, ils ont joué, il se sont cassés en faisant un petit signe de la main, et je trouvais super bien. Ça ne cadrait pas du tout avec l’image que j’avais de la musique, que je voyais dans les clips. Dans les machines, il y a quelque chose d’assez magique, un mystère que j’ai voulu percer. C’est paradoxale finalement, car ce ne sont que des maths.

 

*Ça a été quoi la suite de ton évolution musicale ?

Il y a eu la pratique de l’instrument, j’ai commencé à faire des morceaux dans ma chambre, avec un synthé Yamaha de base, merdique. Un truc qui me permettait de faire plein de choses, mais mal. Un CS1X pour ceux que ça intéresse, ensuite j’ai acheté un séquenceur Alesis, un petit sampler Boss et j’ai commencé à faire des cassettes. C’était des trucs affreux, mais j’adorais faire ça. Ensuite des amis se mettaient à la basse, la guitare, etc. On a trouvé un batteur, on a fait un groupe. Ça m’a forcé à écouter plus de pianistes, des mecs qui font du clavier. Je me suis mis, comme beaucoup de petits mecs qui écoutent de la musique, dans le jazz fusion, funk. J’étais un grand grand fan, et j’aime toujours, ce qui tourne autour de George Clinton, Funkadelic, Parliament, Bootsy Collins. Ça faisait un lien avec le rap, que j’aimais beaucoup aussi. George Clinton, c’est le G-Funk ; le rap de la west coast, c’est lui.

J’écoutais aussi des trucs plus jazz comme Herbie Hancock. La pratique de l’instrument m’a donné envie de m’intéresser à des trucs plus virtuoses. Ça m’a ouvert un autre pan de jouer avec des gens, c’est la deuxième étape. La troisième étape, c’est d’avoir un ordinateur. Là, ça change tout. J’ai eu un ordi assez tardivement, ça a changé la pratique que je pouvais avoir seul, les possibilités étaient démultipliées. Ce que je pouvais faire avec des petites machines pourries était multiplié par cent d’un seul coup. Mais je crois que le fait de commencer avec des petites machines, ça m’a permis de ne pas trop tomber dans le truc des possibilités illimitées de l’ordinateur. Ça m’a pris 10 ans d’apprentissage, de comprendre comment les choses se marient entre elles.

 

*Tu n’as jamais pris de cours ?

J’ai pris quelques cours à domicile, ça n’a pas donné grand chose, ça m’a vite fait chier. En revanche, j’ai fait une année d’école de musique, plus tard, vers 2003, c’était l’horreur absolue. Une école à Cachan, j’ai fait juste un an. Ça m’a permis de savoir tout ce que je ne voulais pas faire. Techniquement, j’étais un peu largué, et l’école, c’était la fermeture. Tu ne pouvais pas parler de musique électronique. À l’époque, j’étais à fond dans la jungle, j’adorais ça, et leur en parler, ce n’était pas possible, ni de pop. C’était vraiment jazz et jazz fusion. Le mec mettait un DJ qui faisait du scratch dans son combo jazz, c’était l’avant-garde !

Bon, ça faisait 30 ans que ça existait… Par contre, ça m’a appris plein de choses en terme d’harmonie. Dès que j’ai arrêté cette école, j’ai rencontré des gens et j’ai tout de suite eu envie de faire des choses. J’ai sorti un premier Ep, avec un pote, on faisait un duo qui s’appelait Chairs on back. Le premier disque que j’ai fait, il était un peu bizarre, je ne sais pas si j’assume aujourd’hui.

 

*Tu chantais déjà dans ce projet ?

C’était une blague, des paroles assez salaces, j’étais très très timide. Je n’imaginais pas du tout faire des chansons, ce qui est venu assez tardivement finalement. J’ai vraiment commencé à chanter il y a quatre ans, à la fin de ce projet duo. On a fait un morceau chanté, je me suis cassé à New York. On a arrêté de travailler ensemble, on n’en pouvait plus, ça ne marchait pas très bien. On avait aussi des envies différentes. Par contre à New York, j’ai tout de suite commencé à chanter, je me suis dit que c’était le moment.

 

*Tu as une double culture, française/américaine, ça a influé sur ta musique ?

Oui, je suis moitié Américain, mais je suis quand même Français. Mon père vient de là-bas, mais il est en France depuis 40 ans, il ne nous a pas trop parlé de son pays. Je me sens bien quand j’y vais, curieusement. Ça me fascine un peu comme un Français. J’ai toujours eu des facilités en anglais que je n’explique pas ; et même si je parle très bien, je ne suis pas tout à fait bilingue, c’est mon grand désespoir d’ailleurs.

 

*Ça t’a ouvert malgré tout sur ce pays…

Oui, on y est allés avec mes parents quand j’étais enfant. Je suis attiré par les États-Unis, c’est sûr, mais je ne crois pas que ça vienne d’une éducation américaine, au contraire même, c’est peut être l’inverse. Quelque chose de relativement tue, par mon père qui n’en parlait pas trop. Il a quitté le pays parce que ça le faisait chier je pense. Je suis attiré par les États-Unis, c’est pour ça que je suis allé y vivre.

C’est un peu l’attraction, du fait que je ne connais pas. J’ai de la famille là-bas, je sens un lien qui est fort quand je les vois. Effectivement, il y a quand même quelque chose d’aller chercher les racines, même si je ne crois pas trop à ce genre de trucs. Mais on ne peut pas dire que j’ai une culture américaine, on a jamais fêté thanksgiving chez moi, et Halloween on s’en fout…

 

*Tu remixes Alizée, tu es produit par Arnaud Rebotini… je te trouve assez libre et décomplexé, un peu comme un musicien américain, qui collabore avec des gens très différents…

C’est vrai qu’il y a quelque chose de chapelle en France. On est fort pour faire des subdivisions, les puristes français sont peut-être les pires du monde. (Sourire.) Il y a quelque chose aux États-Unis que je trouve admirable, j’ai fait un concert à New York avec une nana qui s’appelle NMDR, une blonde, chanteuse, qui a fait un truc avec ce gars, qui a produit Amy Winehouse, Mark Ronson, qui fait du gros mainstream. On a fait un concert dans un club à Brooklyn, où elle faisait du noise-experimental, un truc pas possible ! En discutant avec elle, il n’y avait pas de problèmes, ce sont des choses qui se complètent. La musique, c’est tellement riche, je trouve ça toujours con que l’on puisse se restreindre par peur de perdre une crédibilité. Après, il y a des limites, et je pense que c’est important d’en avoir. Je ne suis pas sûr de vouloir faire René la taupe par exemple.

En tant que musicien, ta pratique est enrichie par les expériences. Je pense que c’est aussi enrichissant de travailler avec Arnaud Rebotini, que de remixer une pop-star. Au final, ni l’un ni l’autre ne fait de l’avant garde. Quand tu parles avec Arnaud, jamais tu ne l’entendras dire qu’il fait quelque chose d’expérimental, au contraire. Il a des bases qui sont populaires, de la musique populaire, au sens américain du terme. Du moment que c’est sincère, c’est un peu con et fleur bleue comme réflexion, je ne vois pas pourquoi on ne le ferait pas.

On a fait un slow dans l’album. On a réussi, je pense, à ce que ça fonctionne, car c’est à la limite du mauvais goût et de quelque chose de profond, de fort. C’est exactement ce que l’on voulait faire, on ne s’est pas posé de questions, c’est même Arnaud qui a motivé ce titre. Cette image de mec underground, sans émotion, très mâle, masculine et c’est lui qui a encouragé de le faire. Il pensait que c’était la bonne chose pour ce disque-là. Ça se retrouve aux États-Unis, un DJ super pointu peut passer un gros Jay-Z en plein milieu de son set, et c’est pas grave, ce sont des classiques d’aujourd’hui, ou de futurs classiques.

 

 

*Tu sembles ne pas douter par rapport à cet album, qui est très compact, abouti… Je ne pensais que ce serait aussi bien fini…

Ça s’est fait assez naturellement avec Arnaud. C’est lui qui m’a proposé de me produire, il m’a dit de passer au studio, « Je te produis mon gars ! », un peu bourré ! Ensuite, on a trouvé un deal avec Pschent, mon label. En discutant avec lui, en apprenant à le connaître, j’avais la sensation qu’il pourrait donner une homogénéité à des titres qui avaient été faits sur trois ans, avec mes compétences de production qui sont assez pauvres. J’avais des idées sur les morceaux anciens, comment les reprendre, les remodeler, il a été à l’écoute de tout ça.

Mais en tout cas, oui, il y a des doutes. Ça fait 8 mois que je suis assis sur cet album, j’ai envie qu’il y ait des critiques négatives, j’ai envie qu’il soit écouté. En même temps, je n’ai pas trop de doutes parce que l’enregistrement s’est fait dans un mouvement très dynamique. On n’a pas vraiment buté sur des choses, on s’est bien trouvés. Arnaud était la bonne personne avec qui travailler, il a une façon de faire qui me plaît, un peu à l’ancienne, et de pas se faire chier avec les fioritures à la fin. On a trouvé l’énergie dès le départ, et si ça ne va pas, on ne met pas le morceau. C’est vraiment comme ça qu’il m’a résumé comment ça allait se passer. C’est difficile de dire si je suis satisfait de l’album ; en tout cas, on a fait ce qui fallait !

 

*C’est facile de travailler avec un producteur ?

C’était très difficile au départ, la première semaine était très douloureuse pour moi. Le fait de donner quelque chose à quelqu’un, de le laisser foutre ses sales pattes dedans, ça a été difficile. Le premier single, 48 hours, a donné le ton et les machines que l’on allait utiliser. On a essayé plein de trucs au départ, il a fallu une bonne semaine pour trouver la boite à outils pour le disque, quel synthé pour la basse… L’idée était de restreindre le plus possible les outils pour obtenir cette cohérence, qui fonctionne même avec le titre avec Daho, qui est en français, qui est aussi le plus pop, qui me semblait très différent.

Clairement le rôle d’Arnaud était d’homogénéiser des chansons qui ne l’étaient pas forcément au départ. les démos que j’avais préparées, c’était trois groupes de son. L’arrangement n’a pas été trop retouché, il y a eu des choses ajouter, d’autres retirées. Il a permis d’aller à l’essentiel, d’armer ce disque avec des synthés, comme on choisit son arme dans les jeux-vidéos !

 

*Chez Rebotini, c’est un peu la caverne d’Ali Baba…

Ah oui, c’était génial, le premier jour, on a passé l’après-midi dans les synthés. Il est très communicatif, un véritable gamin avec ses claviers. Je me rappelle aussi de ma copine qui était venue prendre un apéro, et il était obligé de lui montrer ses synthés, il voulait tout lui montrer. Arnaud a aussi été de très bons conseils pour le live, les instruments à prendre, pour que ça ne soit pas trop lourd à porter et pas trop chiant à transporter, que ça sonne bien, que ce soit pas trop cher.

*Pourquoi ce titre, 48 hours ?

Cette formule vient d’un prof, qui était mon directeur de thèse – que j’ai mise entre parenthèses – il s’appelle Pascal Ory, il est historien. Il fait plein de trucs et il disait « On a besoin de 48 heures dans une journée pour faire tout ce que l’on a à faire », bon c’est pas très marrant… C’est aussi un hommage à Happy Mondays, Factory records en général : 48 hours / 24 hours party people, c’est Happy Monday fois deux ! Je ne suis pas super fan d’Happy Mondays, mais en revanche Factory, c’est clairement un label et une période que j’aime beaucoup. Ce titre en question est très référencé, on pense à New Order, je trouvais ça marrant… mais en vrai, ça vient de mon prof d’histoire.

 

*C’est pas trop pénible d’être sans cesse comparé à New Order, Depeche Mode, Ian Curtis

Il y a la voix grave et c’est le seul truc que l’on a en commun. Je trouve que je ne fais pas du Joy Division. On peut en retrouver dans mes morceaux parce que c’est de la musique que j’adore, mais quand on écoute le disque, il y a aussi du disco, de la techno… On me compare à des trucs que j’aime, donc au final, c’est pas pénible. Ian Curtis, un peu, c’est revenu plusieurs fois. Bon, ça pourrait être pire.

 

*Tu as fait beaucoup de scènes, dans des endroits très différents, qu’est-ce que ça t’a apporté ? C’était facile ?

Il y a eu quelques moments pas facile, car en plus j’étais seul. Tu arrives dans une soirée, c’est un lieu promotionnel pour vanter de l’eau vitaminée, tu te fais un peu chier, c’est open-bar, donc c’est marrant, mais le fait d’être seul peut être un peu difficile. Mais c’était nécessaire, pour moi, pour assumer ce rôle de chanteur sur scène. Je me le suis infligé parfois, mais au final c’était bénéfique pour bien appréhender la scène, gérer le trac. Faire des concerts, ça m’a permis de savoir ce que je savais faire et ce que je ne pouvais pas faire ; il y a des morceaux dont je me suis débarrassé. Parfois, quand on fait quelque chose dans sa chambre, on le fait écouter à des proches, mais quand on l’étale devant un public, qu’il y ait 5 ou 200 personnes, c’est pas la même chose. Ça peut fonctionner pour toi, ou non, il faut voir si ça forme un tableau cohérent avec le reste. J’ai bien évacué la moitié des choses que je faisais il y a deux ans.

 

*Comment ça se manifeste quand ça ne marche pas sur scène ?

Je crois que quand je suis chez moi en train de faire quelque chose, je peux me laisser emporter facilement. Je faisais des choses, en me disant « c’est super je vais le jouer au prochain concert », et finalement, très vite, je peux me rendre compte que ça ne fonctionne pas. Aujourd’hui, c’est différent, je sais un peu plus ce que je veux. Mais notamment, pour un morceau qui était très festif, j’utilise ce mot sciemment parce que je le trouve horrible, qui fonctionnait quand je le faisais chez moi. Dans le confinement, on peut perdre des repères, c’est en tout cas l’impression que j’avais. Au final, le morceau ne marchait pas du tout sur scène.

J’ai besoin de me sentir à l’aise avec mes chansons, la scène c’est nécessaire, je ne comprends pas bien l’idée de sortir un disque sans faire de scène. Je ne comprends pas très bien le portage de chansons de studio sur scène juste pour tourner parce qu’il faut. Je suis content d’avoir fait beaucoup de concerts, dans des lieux très différents, des grands théâtres avec Air, où tous les gens sont assis. A priori chiant, mais très intéressant à faire car il faut apprendre à capter l’attention d’un public assis qui attend un grand groupe français, c’est compliqué. Puis le lendemain, je jouais dans une petite salle et de plain pied. Aujourd’hui, j’ai l’album, c’est super, je suis content de le regarder, mais j’ai envie d’être sur scène.

 

*Tu peux revenir sur la collaboration avec Étienne Daho ?

J’avais participé à l’album Jacno Futur, des reprises de Jacno. Le premier single de ce disque, c’était la reprise de Daho d’Amoureux solitaire. On m’a demandé de faire un remix, un remix d’une reprise, c’est un peu compliqué, et je l’ai fait. C’était le premier contact avec Daho. Je ne l’avais pas rencontré et ça n’est pas lui qui me l’avait demandé. La bonne surprise, c’est qu’il m’a envoyé un petit mail « Merci pour le remix, c’est super ! » Ensuite le disque est sorti, il y a eu le concert à la Cité de la musique, qui rassemblait certaines personnes du disque. On m’a demandé de faire Les nuits de la pleine lune, car Au revoir Simone n’était pas là. J’adore cette chanson. Et on s’est rencontrés avec Daho, on a discuté, j’ai été très surpris par son humilité. Il est venu écouter les balances, parce qu’il voulait voir et entendre. Il y a des mecs, ils en ont rien à foutre passer 40 ans de carrière d’écouter les balances d’un gars…

Quand j’ai eu cette idée de morceau en français, j’ai pensé à Étienne Daho. Franck Vergeade, du magazine Magic, qui connaît Daho, a envoyé un email au manager, qui l’a mis de côté. Mais, Daho a trouvé cet email, et il m’a répondu, « Yan, j’ai vraiment envie de le faire ! » Je suis allé chez lui, on a écrit les paroles, il a composé sa mélodie, on a re-produit le titre pour que ça colle avec l’album, un titre qui était vachement plus neo-disco au départ, à base de samples. On l’a refait avec les synthés. Il a vraiment participé, c’est ce que j’ai aimé, il s’est rendu disponible pour l’élaboration du morceau. Il a demandé le minimum, ce n’était pas l’enfer avec la maison de disques, il l’a fait de bon aloi.

 

 

*C’est choquant au moment où on l’entend, on dirait toi…

En fait, on a chanté à l’unisson, quasiment tout le morceau. Ce que je trouve dingue, c’est dès la première phrase, on le reconnaît, on sait que c’est lui, c’est incroyable. Il n’est pas connu pour un organe de fou, mais il a une telle personnalité, qu’on le reconnaît tout de suite…

 

*Entre Rebotini et Daho, tu avais besoin de parrains, de gens plus âgés pour adouber ton projet ?

Je ne sais pas si c’était un besoin, mais je me dis que c’est super. Je ne vais pas être hypocrite, ce sont des cautions, des cautions comme celles-là, j’en suis très fier. Arnaud a accepté parce qu’il avait envie de le faire. Quand on est producteur, on n’est pas forcément dans le coup de cœur, il y a un studio à faire tourner.

 

*Tu es un electron libre, tu fais de la musique singulière…

De la musique de vieux tu veux dire !

 

*Non, non, mais un peu datée, décalée par rapport ce qui se fait…

Je n’ai pas trop ce fantasme du c’était mieux avant et qu’il ne se passe rien aujourd’hui, parce que je ne le crois pas. Je pense qu’il se passe plein de trucs, et même mes recherches pour ma thèse sur les clubs m’a dégoûté de ce discours de ressortir Le Palace dès qu’on peut. J’ai vu une émission de Taddeï avec la garde des casse-couilles : Ariel Wizman et consorts, en train de dire « Mais ouais, les branchés, mais ouais… c’est nous qui avons… » Ça m’énerve !

Le Palace, c’était sûrement un truc de merde, un truc de bourges. Sylvie Grumbach, la nièce de Pierre Mendès-France, était attachée de presse de ce truc, c’est le premier club qui a compris que saywho allait arriver un jour, ce truc de mondanités d’afficher un quidam avec Mick Jagger, c’est vraiment de l’hypocrisie. Saywho.fr, c’est un site avec des photos de soirées, un truc infernal, ça te prouve juste que les mecs sont capables de tout, juste pour être sur un site Internet. Le Palace, c’est pareil, c’est que ça, même si je pense que de super groupes y ont joué, bref…

Tout ça pour dire, que je n’ai pas cette nostalgie des lieux. Je suis allé au CBGB à New York avant que ça ferme, et heureusement que ça a fermé ! Tu as un vieux groupe de heavy-metal qui arrive en Limousine, il y a cinq fans, c’est l’enfer !

Après, je ne crois pas vraiment au truc de scène. La scène de la jeune garde française, c’est juste un concept. Je crois que la seule scène que l’on a eu en France, je le dis sans nostalgie, c’est quand la techno est arrivée dans les clubs au début des années 90, à Paris. C’était un truc qu’il fallait défendre, des mecs comme Arnaud qui vient du black metal, Laurent Garnier, et qui sais-je, se retrouvent dans les clubs, ils font des soirée ensemble, ils défendaient un truc. Et ensuite il y a la Techno Parade, et c’est admis…
Je n’ai pas vraiment envie d’appartenir à une scène, et je crois que la plupart des groupes, c’est pareil. Peut-être que localement, c’est un peu différent, dans les petites villes, il y a un truc de fierté locale. Rennes est peut être plus comme ça, et encore ça dépend, je suis très pote avec Splash Waves, eux ils s’en branlent… (Sourire.) En même temps, ils sont bizarres !

 

*Tu continues ta thèse ? Elle parle de quoi ?

Bah, j’aimerais bien continuer, mais ce n’est pas à l’ordre du jour. En gros, c’est une étude comparative des transferts entre Paris et New York concernant les clubs, une histoire transnationale comparative et culturelle entre 1948 et 1991, soit comment ont émergé les discothèques telles qu’on les connaît. 1948, c’est le microsillon, c’est ce qui permet de jouer de la musique très fort, c’est le début de la discothèque. 1991, les raves, les clubs deviennent à nouveau un truc de casse-couilles, puis ça devient une norme de loisirs.

C’est surtout ce versant de la professionnalisation qui m’intéresse, comment les méthodes de sonorisation se développent, les besoins spécifiques, les lumières, avec un peu de sociologie. Il y a plein de papiers sur le sujet en Angleterre et aux Etats-Unis, mais pas trop en France. Cette thèse, c’est un truc à plein temps, il faut faire un René la taupe pour pouvoir la continuer !

 

*Tu n’as pas hésité à ne faire que de la musique ?

Quand j’ai fait cette école de musique, j’étais persuadé que j’allais devenir pianiste dans des groupes, faire plein de merdes, mais faire le truc bien. Je faisais un groupe à l’époque avec des gens qui étaient intermittents du spectacle. Un truc assez sérieux, on répétait chaque semaine, dans un local dans le neuvième. Ils gagnaient leur vie avec la musique. Pour moi qui avais dix ans de moins qu’eux, c’était super excitant, mais en fait, je me suis rendu compte les mecs faisaient aussi de la salsa pour vivre et que ça les faisait chier. Nous, on faisait de la jungle avec un batteur, c’était la période baggy-cheveux-rasés. C’est la première fois que je me suis dit que je n’allais faire que de la musique.

 

*Le disque finit très abruptement, c’est assez bizarre…

Ça aurait pu finir comme l’intro qui commence doucement. J’avais pas envie de donner l’impression de foutre un truc faible à la fin, donc on a mis un truc qui envoie. C’est vrai que ça finit d’un seul coup, en même temps il faut bien finir et ça fait moins mal quand on arrache d’un seul coup sec !

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