Scenario Rock #2004 #archive

 

Est-ce que vous vous souvenez de la première fois où vous vous êtes croisés ?

Mehdi : Ça devait être en 88 ou 89, à côté de chez Ludo

Ludovic : Ah oui, je m’en souviens, place Marcel Pagnol !

M : Place Marcel Pagnol, ça essayait de placer du boneless, les premiers ollies, des ollies-touch, car on n’arrivait pas à faire de catchs… J’étais monté de mon ghetto natal pour aller skater sur la colline. J’étais l’un des rares à bouger mes fesses jusqu’à la vraie ville, là où il y a des commerces et des gens !

Donc vous avez commencé à skater ensemble…

L : On a vu que l’on faisait les mêmes boneless, et de là, on s’est dit pourquoi ne pas continuer ensemble !

Comment en êtes-vous neus à faire de la musique ?

M : Ça c’est fait petit à petit, j’étais déjà un peu dedans, je gratouillais, j’avais un groupe de rap quand j’étais au collège, je samplais du Gorilla Biscuit pour faire des beats avec des gars un peu plus vieux que moi. Mon grand frère était dans le Metal, et je me concentrais sur ma street-life ! La musique était une récréation et en vieillissant, on a fait un choix !

L : On a vu que l’on en passerait pas pro en skate, donc voilà !

M : On sentait que l’on allait plus briller dans la musique que dans le skate, donc on a pris la tangente ! C’est vrai aussi que lorsque tu habites en banlieues parisienne et qu’il pleut 360 jours par an (sourire), tu dois avoir pas mal de choses que tu cultives à côté, car ta vie ne peut pas se résumer qu’au skate…

Vous avez des bases musicales ?

M : Non, on est complètement autodidacte, on a été influencés par des groupes Hardcore, plutôt américain : Bad Brains, Minor Threat, Beastie Boys… Des groupes qui ont montré que l’on pouvait avoir une identité forte et construire quelque chose autour de sa propre personnalité, sans forcément être musiciens. En le faisant avec beaucoup de témérité et d’attitude, et c’est ce qui nous a séduits au départ. Et c’est un peu le même principe quand on a commencé à skater, et que l’on s’est rendu compte que l’on pouvait convertir certaines faces de notre personnalités et un comportement agressif en quelque chose de constructif et créatif…

C’était quoi votre première expérience musicale ?

M : Un groupe qui s’appelle Heb Frueman, que l’on a commencé comme une récréation. C’est parti d’un concert de soutien pour un pote qui avait un bar associatif à Meaux.

Ça c’est concrétiser comment ?

M : Tout c’est fait un peu à notre insu, on faisait ça parce qu’on avait envie de le faire, et que visiblement ça avait l’air de plaire et il y a un moment on est devenu vraiment motivé. Entre 96/98, on a fait des concerts, on a fait des splits, notamment un avec NRA, on a ouvert pour Nofx et Millencollin. On a joué avec un peu tout le monde de l’époque : Burning Heads, Seven Hate, Uncommonmenfrommars, Nashville Pussy. On a participé à quelques compilations, et a un Tribute To Fugazi. On a eu l’occasion de rencontrer Ian Mckay, qui nous a félicités pour ce disque, c’est plutôt encourageant et flatteur. C’était un des grands moments d’Heb Frueman, et l’une des raisons pour lesquelles on a continué et persévéré…

C’est important les covers (les reprises) ?

M : C’est marrant de pouvoir revisiter des standards qui sont finalement des standards pour toi, que très peu de gens connaissent et d’amener les lumières dessus, et participer à ce genre d’héritage… On a fait surtout des covers des Beastie, de Fugazi, de Minor Threat, on a aussi fait des medley rock avec les Pixies, du Guns & Roses, revisité… On est bien dans la veine de Moog Cook Book, ce projet où ils reprennent des classiques au moog.

Pourquoi reprendre Time For Livin’ des Beastie Boys sur scène?

M : C’est un peu galvaudé, en même temps c’est marrant car tu te rends compte du décalage qu’il peut y avoir. Ce titre est un classique pour les mecs comme nous, alors que ça n’est pas forcément un titre que les gens ont retenu des Beastie… C’est bien de rester proche de nos racines et de nos références, et d’être là où les gens ne nous attendent pas forcément, ça leur permet de mieux nous connaître, de mieux nous cerner…

Il y a eu une fin d’Heb Frueman ?

M : Il n’y a pas eu de fin définie. Au bout de deux ans, on se sentait un peu à l’étroit dans ce que l’on appelle la scène française/parisienne punk-rock avec des éthiques à la mord-moi-le-nœud. Nous on faisait ce truc car ça nous amusait de le faire, on n’était pas là non plus pour véhiculer des idéaux politiques, on était en marge de tout ça… Même si le punk rock et le hardcore faisait partis de notre folklore, il y avait déjà d’autres choses que l’on cultivait, comme le Hip-Hop, la musique électronique, la pop ou le rock. On souhaitait s’épanouir dans autre chose… On a décidé de lever le pied, pour éviter de jouer toutes les trois semaines dans la même salle devant les même personnes, avec les mêmes groupes.

Scenario Rock a commencé quand ?

M : Scenario Rock a commencé en 1997, et les choses se sont précisées vers 99/2000. On s’est dit que l’on voulait faire un album, un format long, on voulait allez voir plus loin. C’était un moyen d’enlever pas mal de frustrations que l’on avait accumulé en faisant toujours la même chose, en étant dans un truc très réducteur. C’était aussi le moyen de retourné vers d’autres instruments, d’autres couleurs musicales, vers d’autres références, d’autres influences.

Il y avait Dj Pone avec vous au début ?

M : Il vient de Meaux, il skatait avec nous, il s’est mis au Djing, il a fait la carrière qu’on lui connaît assez tôt, il faisait partie de la grande famille meldoise, quelque soit tes influences tout le monde se connaît et se fréquente. On a commencé à bosser ensemble, à faire du raccommodage, à aller en studio, là où l’on pouvait se faire prêter du matos, et on a commencé à expérimenter, à essayer de maîtriser un peu plus les instruments, tout ce qui était programmation, c’était vraiment de l’expérimentation technique. Après on savait ce que l’on voulait faire, on voulait écrire des chansons, faire des chansons pop.

On était novice, on a commencé tranquillement et après 3/4 heures d’une première répétition pour coucher des idées, on a retrouvé un pote pour aller gratter des disques chez Source, car Grand Royale et Mowax était en distribution chez eux. Ils bouclaient le track-list de leur compilation Source Rock, sur laquelle il y avait Sébastien Tellier, Phoenix, Cosmo Vitelli, et pas mal d’artistes qui faisaient leur première arme ; nous, on avait une cassette de répèt’, et Philipe Ascoli et Berthile, les Directeurs Artistiques ont accroché. Ils y ont trouvé quelque chose de frais et novateur, et quinze jours après on était en studio pour improviser un titre pour cette compilation. Sans filet, sans matériel, c’était un one shot, et on avait deux jours, il fallait que ce soit bien, et on l’a fait. On a eu de bonnes chroniques, ça a permis d’être suivi par les DA de Source, qui nous ont mis le pied à l’étrier.

On a grappillé à gauche/à droite pour des heures de studio, et maquetter des titres… et au fil des années, un rapport de confiance s’est instauré avec Berthile, il a pris le temps de comprendre comment on fonctionnait, et il a été confiant. Dès qu’il a eu les moyens de nous faire faire des choses, il l’a fait. Ça devait être un Ep chez Source, mais Berthile a quitté Virgin pour monter sa structure chez Bmg, comme on avait confiance en lui, on a décidé de le suivre. Entre-temps, Pone a décidé de se consacrer à sa carrière de DJ…

Il y a eu une bifurcation musicale ?

M : Dans la manière de produire oui, mais pas dans le contenu des chansons, notre propos est le même, les outils de production sont différents. Comme on avait un deal clair avec la maison de disque, on a voulu se concentrer sur l’un des aspects qui nous intéressait depuis le départ. Avant, faute de moyens, notre musique tournait autour de samples, c’était plus facile en mettre en place. Le départ de Thomas (Pone) a coïncidé avec le moment où l’on a vraiment eu les moyens de s’épanouir en tant que producteurs. On a pu aller en studio, on a eu accès à des instruments, on a eu le temps d’apprendre…

C’est difficile de donner un ton à sa musique ?

M  : Comme on travaille comme autodidacte, on travaille à l’instinct et sur les émotions que ça nous procure. On ne fonctionne pas par rapport à des exercices de style. On essaie de véhiculer nos personnalités, notre vécu, et pas mal d’émotions, pas mal de phantasme, à travers notre musique. C’est pour ça que dans l’album, il y a plein de couleurs musicales différentes et que l’équilibre et la cohérence se font car nos personnalités sont un peu une synthèse de ça…

Comme au départ on n’avait pas de matériel, on avait que notre mémoire pour bosser, tu te représentes la chanson, et tu as un schéma précis mentalement de ce qu’elle va être. On va récupérer plein d’informations, et c’est comme ça que c’est construit l’album, dans nos têtes et dans nos cœurs. Ensuite, c’est difficile de se focaliser sur un truc, parce que c’est le meilleur moyen d’y mettre des choses que tu ne voulais pas… Avant d’aller à L.A, on s’est enfermé en studio, on a bossé sur une cinquantaine de titres. On voulait produire des titres Hip-Hop, punk ou très Pop, on n’a pas voulu se focaliser sur une quinzaine de titres, car c’était le meilleur moyen que nos influences rejaillissent dans nos compositions. On était saturé d’idées, d’ambitions, donc il fallait tout relâcher, et faire un tri… Ça faisait dix ans que l’on rêvait ce moment, on ne voulait pas fonctionner comme des enfants gâtés, à qui l’on donne plein de jouets, car tu commences à toucher à tout et c’est le meilleur moyen de se perdre…

Vous avez finalisé l’album à Los Angeles ?

M : On a bossé sur une cinquantaine de titres à Paris, on avait pour ambition d’être les producteurs de l’album, et on assumait toutes les casquettes. Une fois que l’on a eu terminé, on a rencontré David Corcos, qui cherchait de nouveau groupe à produire, on s’est bien entendu car on avait les mêmes références. Il avait, via la structure de Mario Caldato, le producteur des Beastie Boys, dont il était l’assistant, pas mal de gens autour de lui, susceptible de nous aider et de nous faciliter les choses. C’était donc très excitant de se retrouver à l’étranger, ce qui nous obligeait à nous focaliser sur notre projet et d’avoir en plus quelqu’un qui apporte un vrai truc.

De plus, les coûts limités dû au fait que Mario Caldato nous prêtait son matos, et on avait une famille de musicien autour de nous pour nous épauler. On s’y retrouvait et ils apportaient une certaine cohérence à notre projet, car ce sont des gens dont on connaissait et respectait le travail. C’était vraiment idéal parce que c’était vraiment l’équipe capable d’emmener notre projet au-delà de ce que l’on avait pu imaginer…