Phife Dawg, la conversation #archive

Phife Dawg (Mikael 'Mika' Väisänen)

feu Phife

 

Le coup de fil à Phife Dawg au début des années 2000, au moment de la sortie de son premier album solo chez Groove Attack, un petit label allemand qui avait le vent en poupe. Une interview parue dans le magazine Real, fait par des mecs sympas.

Phife, c’est le stéréotype de l’Éternel second, dans l’ombre de Q-Tip, le mec amer du documentaire Beats, rhymes & life. C’était quand le hip-hop était mieux avant, quand on était jeune et en bonne santé.

 

*Peux-tu nous en dire plus sur la séparation de A Tribe Called Quest ?

Quand tu as passé autant de temps dans un groupe, beaucoup plus longtemps que la moyenne, à part peut-être EPMD et Run-DMC, il y a un moment où il faut se séparer. Les gens évoluent. C’était le bon moment et on voulait faire des choses chacun de notre coté, tu vois. C’est un truc que l’on ressentait, et qui est arrivé relativement tard. La décision, on l’a prise mutuellement.

 

*Tu avais l’idée d’un album solo depuis longtemps, était-ce possible au sein de A tribe called quest ?

Je crois que tout est toujours possible. C’est vrai que j’ai toujours eu cette idée en tête, et au moment où j’en ai parlé sérieusement, ça ne plaisait pas à certaines personnes. En gros on m’a dit entre quatre yeux que ce n’était pas judicieux de concrétiser un tel projet. C’est le genre d’expériences qui m’a énormément appris. Ce que je retiens, c’est que l’album est là, tu vois. C’est le temps du changement.

Depuis un bon moment j’estimais ne plus faire partie du groupe. J’aurais voulu que l’on se sépare bien avant. L’alchimie en fonctionnait plus. Comme on était au top, on a quand même fait les deux derniers disques, on n’avait pas vraiment le choix, on était forcé de continuer.

 

*Tu sors ce disque sur un label allemand, Groove Attack, tu aurais pu le sortir via une maison de disques aux États-Unis ?

Ça aurait pu être possible, mais bon… De toutes façons, je suis distribué par Landspeed, les gens intéressés auront le disque à disposition. J’aurais pu faire le même album ici, mais je savais qu’un label américain n’attendait pas ça de moi. Ici, il n’y a que des suiveurs, personne n’est à la recherche de choses nouvelles, ils ne veulent que copier ce qu’ils considèrent de vendeurs.

Personne n’est prêt à te donner ta chance, sauf si tu peux être le prochain Redman ou Method Man. Ils se foutent d’un produit comme le mien, donc j’ai préféré me mettre en retrait. Moi, je voulais faire mon propre truc, un album très personnel, avec un minimum d’invités. Je voulais m’affirmer en tant que Phife Dawg.

 

*Tu ne souhaitais pas continuer avec une étiquette A tribe called quest sur le front…

Je pense que beaucoup de gens ont des problèmes avec les étiquettes, et les labels aussi. Ce sont les médias qui cataloguent les gens et leur travail. Pourtant, je ne crois pas que les artistes s’affirment dans tel ou tel courant.

Souvent les critiques, ou peu importe qui, ne peuvent aimer un album de M.O.P s’ils sont fans de Souls Of Mischief. Parce que si tu es fan de Souls Of Mischief, tu n’aimeras pas forcément ce que fait M.O.P. C’est quand même ridicule. Chacun a des trucs différents à raconter, à exprimer. Pour moi il y a la bonne musique, et c’est tout.

 

*Vous avez été la Native Tongues, un courant musical et positif, ça existe encore aujourd’hui ?

Je ne crois pas que le courant Native Tongues existe encore. Ça existait quand on était jeune. Maintenant tout le monde est de son côté, tu vois ce que je veux dire. On est amis et concernés par la carrière des uns et des autres, mais il n’y a plus de Native Tongues.

De La Soul fait du De La Soul, ATCQ est séparé, Black Sheep, j’ai entendu dire qu’ils allaient revenir ensemble, mais je ne sais pas ce qu’il en est exactement. Jungle Brothers sont à l’étranger pour bosser, Latifah fait de la télé, gère un label, c’est une actrice… Chacun fait son truc.


« je suis fâché contre tout le
rap game ! »

 

*Mos Def et Talib se “réclament” de la Native Tongues…

Ils ont le même discours que l’on avait à un certain moment, mais ils ne sont pas “homologués” Native Tongues. Ils sont Mos Def et Talib Kweli. Common a une vue similaire à la nôtre, mais il n’est pas non plus Native Tongues. Même s’il est très spirituel et un excellent rappeur.

C’est rare les rappeurs qui sont dans le même délire aujourd’hui, il n’y a plus vraiment de courants, de styles qui correspondent à un label. Il y a Ruff Ryders, il y a eu Death Row, et il y a eu la Native Tongues.

 

*C’est pour ça que tu es fâché contre le rap game new-yorkais ?

Non, je suis fâché contre tout le rap game ! New York est importante car c’est de là que tout a commencé, mais ça s’est disséminé depuis. Je n’aime pas ce que le rap est en train de devenir. Et en même temps je sais que la vie est un éternel recommencement ; et que peu à peu les choses redeviendront comme nous les avions mises en place au début. Ça n’empêche que tout le monde copie tout le monde, et que personne n’a son propre style !

Quand on a commencé, chacun avait sa particularité, que tu pouvais identifier instantanément. Big Daddy Kane était LE mec aux métaphores, il défonçait tout. LL Cool J avait son style, Public Enemy était militant, KRS-One moraliste, et nous, on était A tribe called quest. On est arrivés avec I left my wallet in El Segundo, et tout le monde disait “Putain de quoi ils parlent !?” C’était notre style.

Aujourd’hui, c’est le règne des filles à poil dans les clips. Ça n’est pas condamnable et j’aime bien les filles, mais il n’y a plus que ça. Je crois qu’il y a assez d’argent dans ce business pour tout le monde. Mais comme tous font la même chose, certains travaillent très dur pour rien.

Regarde Das EFX, quand ils sont arrivés ils tuaient parce qu’ils avaient leur style, et peu à peu tout le monde les a copiés. Maintenant ils ne peuvent plus revenir, car on penserait que c’est eux qui copient ! Avant tu te prenais des tartes si tu copiais quelqu’un d’autre, maintenant tout le monde le fait et les gens trouvent ça normal.

 

*Le hip-hop a un avenir dans le futur ?

Le hip-hop c’est désormais du rock & roll, donc des gros sous. Mais il y aura toujours de vrais artistes. Je ne peux pas dire qui, mais il y en aura toujours qui feront la différence. Ceux qui se foutent du business entre autres.

Heureusement le hip-hop est cyclique, et il y a des nouveaux mecs super forts chaque année et qui ont faim, donc tu n’as pas d’autre choix que d’essayer de rester au top. Sur le papier tu peux être numéro 1 le lundi et numéro 66 le mercredi. Personnellement, je ne veux être ni mainstream, ni underground, je veux juste être Phife Dawg, un vrai MC et c’est tout.

 

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