Dix ambrotypes de Julien Félix, et des réponses à nos questions


Julien Félix est originaire des Vosges, il est la moitié des Ambrotypistes associés. Après des études aux Beaux Arts d’Épinal et de Rennes, il fait différents boulots, puis devient photographe à temps complet. Autant qu’il se souvienne, il a toujours fait des photographies. En voici un peu plus sur ce jeune homme discret.


JULIEN FÉLIX.fr
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*La photographie en général, et plus particulièrement. Qu’est-ce qui t’a motivé à prendre des photos ?

La photo en général et en particulier… Je ne sais pas, mais j’ai toujours fait des photos. On m’a collé l’appareil de mon grand-père dans les mains quand je devais avoir 7/8 ans, les albums photos familiaux doivent en garder quelques traces.

Ça reste un truc de gosse mais j’adorais ça à l’époque. Après, la réelle mise en route de tout ça est très originale : j’ai commencé sérieusement à faire des photos à cause du skate… Donc les magazines de skate Noway, les magazines ricains qu’on arrivait à avoir une fois par an, ou lorsque un copain partait là-bas en vacances. Choper un Thrasher en 1990 dans les Vosges, c’était un peu comme trouver une aiguille dans une botte de foin. Bref. J’en ai fait beaucoup, j’ai eu deux ou trois parutions dans des fanzines, mais je me suis vite rendu compte que beaucoup faisait ça beaucoup mieux que moi, donc je me suis intéressé à autre chose.

Ce qui me motive n’est pas vraiment défini. Certains te répondrons qu’ils ont des histoires à raconter, d’autres un message à faire passer. Chez moi, ça s’apparente à un besoin. J’ai besoin de faire des images, c’est physique et ça a toujours été ainsi. Il m’a fallu du temps pour canaliser ça et ne plus faire des photos pour faire des photos.

 

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*C’est pour capturer la réalité ou avoir un moment de calme ? Un devoir de mémoire, comme Éric qui revendique d’avoir peu de souvenirs, donc de faire des photos pour garder une trace…

Comme je le disais, c’est un besoin, je ne sais pas pourquoi. Pour ce qui est de capturer la réalité ou autre, je m’en fous un peu, ce n’est pas ce qui me préoccupe ; en ce moment du moins. Mon travail photographique est tourné sur des choses plus “intimes”, moins illustratif, de l’ordre de la retranscription d’impressions.

J’ai beaucoup travaillé ces dernièrement sur les notions de temps qui passe et de “restes”. Le fait que toute photographie est le reste d’un instant perdu/mort. D’où pour moi cette relation ambivalente que la photographie entretient avec la mort. Mais c’est vrai que cela peut s’apparenter à un devoir de mémoire.

 

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*Faire des photos dans les Vosges, ça change quoi ?

Ça change quoi… Tout ! Pas de réelle politique culturelle, pas d’infrastructures où montrer son travail… Nous sommes proche du désert, donc il faut se débrouiller autrement pour réussir à montrer son boulot. Je ne fais pas de photos de petits chamois et de petites fleurs, c’est un sacré handicap ici.

Du coup, on passe facilement pour, au mieux, un ado attardé, au pire, pour un cinglé. Mais bon, l’Est de la France doit compter la plus grande concentration de photographes utilisant des techniques atypiques donc on ne se sent pas trop seul…

 

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*Tu sembles faire peu de portrait, mais la Nature est très présente dans tes photos, pour quelles raisons ?

Ce n’est pas que je fais peu de portraits, c’est plutôt que j’essaie de me canaliser et ne pas faire de photo pour faire des photos. J’essaie de faire en sorte que chaque image entre dans un contexte particulier et réfléchi. Donc si l’humain n’a pas place dans le sujet, je n’en “utilise” pas. Après, il est vrai que la nature joue un rôle important dans mes images, mais je pense que c’est lié à mon environnement, c’est ce que je trouve en sortant de chez moi.

Si je vivais dans une région plus urbanisée mon travail serait vraiment différent, mais ce n’est pas le cas, donc je fais avec ce que j’ai sous la main. Il y a un truc certain en revanche, c’est que je ne comprendrai jamais ces photographes qui se sentent obligés de mettre quelqu’un dans leur paysage… Ils ont peur du vide ?

 

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*Pourquoi tu as choisi l’ambrotype comme technique ?

C’est un long cheminement. J’ai toujours pratiqué “l’argentique” avec quelques écarts du côté numérique, avec toujours en tête un type d’image vers lequel ma démarche tendait, sans trop savoir ce que c’était. J’avais quelque chose de bien précis en tête.

Puis un jour, je suis tombé sur cette vidéo de Rob Kendrick le montrant faire un portrait pendant son travail sur les cowboys et je me suis dit – une fois avoir ramassé ma mâchoire tombée sur mon bureau – que oui c’était exactement par là que je voulais aller. Je me suis donc renseigné sur la technique, le temps d’ingurgiter tout ça, de m’y mettre, il s’est presque passé deux ans et demi avant de sortir mes premières images correctes.

 

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*Ambrotype et sténopé. Tu utilises ces techniques, tu peux parler de la différence entre les deux ?

La différence principale est que le sténopé est un moyen de prise de vue et que l’ambrotype est un procédé de “fixation” d’image sur un support. Pour faire plus simple, le sténopé est un appareil photo et l’ambrotype une sorte de pellicule. Mais ils ont aussi des points communs : temps de pause long et un “rendu” d’images assez facilement reconnaissable.

Le sténopé étant un “appareil” et l’ambrotype une “pellicule”, on peut même combiner les deux mais à cause des temps de pause très long des deux, ça devient vraiment très difficile et problématique d’obtenir quelque chose d’exploitable.

 

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*Avec ces techniques la photo devient plus difficile, donc plus intéressante ?

Non, puisque si tu prends le cas du sténopé : une boite trouée + du papier photo + 2/3 chimie + un minimum de connaissances techniques = un truc super intéressant avec lequel tu peux faire des images pendant des années. C’est vrai qu’en ce qui concerne l’ambrotype, c’est un petit peu plus compliqué, mais ce n’est pas ça qui rend la photo intéressante.

 

*Tu dénonces toi-aussi le souci de perfection du milieu de l’ambrotype ?

Clairement , mais l’inverse aussi. Je m’explique : je laisse le soucis de perfection aux geeks du procédé, qui à mon avis ne font que cacher leur manque d’idées et de propos derrière la technique.

Paradoxalement, j’estime que l’on doit être capable de faire des ambrotypes techniquement parfaits, car il faut être capable d’adapter sa technique avec ce que l’on a à dire, et de jouer avec les défauts qu’engendre la technique et non l’inverse. Cela revient, en fait, à faire des photos pour faire des photos. La technique bonne ou mauvaise l’emporte sur le reste et là, ça ne m’intéresse plus.

 

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*Tu aimes qui en photo ? quelle démarche te parait la plus fascinante ?

Chez les grands anciens qui utilisaient plus ou moins la même technique que moi : Gustave Le Grayet et Nadar. Sinon j’ai des goûts très classiques : Cappa, Depardon, Nan Goldin, Sarah Moon, Ansel Adamas… Rien de très original.

Après, il y a Sally Mann, et à moindre mesure Joel-Peter Witkin, parce que dans leurs démarches, ils ont des préoccupations proche des miennes, et une façon de répondre à ces problématiques qui me fascine.

 

*Tu n’aimes pas quoi dans la photo ?

Les tirages numériques moches, c’est horrible. Du coup, quand je vais à une expo bien souvent je ne vais pas plus loin que la première photo à cause de ça…

 

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*Tu as un avis sur le digital ?

Je vais peut-être surprendre, mais je trouve ça génial ! Ça permet tellement de choses, il y a des gens qui font des trucs incroyables. Le souci du digital, à mes yeux, c’est qu’il n’a pas encore trouvé son écriture propre. C’est un nouveau médium, et tant que la majorité des photographes numériques essaieront de copier l’argentique, ça coincera un peu.

On ne se sert pas de la même façon d’un rOtring et d’un POSCA. Eh bien, je pense qu’on ne se sert pas non plus de la même façon d’un FM2 et d’un 5D. Quand le numérique aura trouvé son écriture propre et que toute la chaîne sera adaptée, se sera vraiment au top. C’est sûr qu’il n’est pas évident de se détacher des 160 années d’histoire de l’argentique.

 

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*L’ambrotype, c’est être nostalgique ?

Certainement pas pour moi, c’est juste un moyen, un outil. Je n’ai pas adopté cette technique par goût du passé ou par nostalgie. C’est juste que c’est le meilleur moyen pour moi – en ce moment – de m’exprimer. L’avantage c’est que c’est passionnant à faire.

 

*Ce serait quoi le comble de l’ambrotype ?

Un buste de femme nue avec des taches de rousseur qui pose avec une main sur un crâne lui-même posé dans une coupe de fruit…

 

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*Et l’ultime ambrotype ?

Je ne sais pas… Ça ne m’intéresse pas vraiment de savoir ça, comme je l’ai dit ce n’est qu’un outil. On ne demande pas à un photographe qui travaille au Leica ou en numérique quelle est la photo ultime. Je me détache de plus en plus de ça. Je ne dis même plus ce que c’est car finalement ce n’est pas important. De toutes façons, ça se voit dans ce que font les gens qui ne mettent que cela en avant, il font tous la photo dont je parlais dans la réponse précédente, et ils se copient entre eux…


*En conclusion, pour être ambrotypiste en France, il faut avoir deux prénoms en guise de nom ?

Oui, sans ça tu es automatiquement disqualifié, ça sert à rien d’essayer !