Feadz, la conversation #archive

FEADZ

Sous le signe du Oizo

 

Feadz est né après avoir scratché sur le célèbre opus de M. Oizo, le très étrange Analog worms attack. C’est une naissance assumée et sans douleur, mais nous avons souhaité en savoir un peu plus sur le jeune parisien, adepte de sons alambiqués et tortueux, et surtout à l’origine de la mise en orbite de la jeune et jolie Uffie. Fabien aime parler musique, expériences, émotions et avenir.

[Une conversation parue dans le magazine papier Maelström.]

 

*Quels ont été tes premiers pas dans la musique ?

J’ai eu la chance d’avoir une sœur qui était folle de musique et qui avait un boyfriend dj. J’ai eu la chance très jeune de pouvoir aller chez mon beau-frère et de toucher des platines Technics, ça m’a complètement passionné. J’ai économisé et assez vite j’ai acheté des Etp ; sinon j’achète des disques depuis 92. J’ai une collection assez énorme, ce qui est assez insupportable pour les déménagements notamment, et je garde une grande passion à rechercher du son aujourd’hui, avec les nouveaux moyens du bord.

 

*Et ta culture musicale ?

J’ai grandi avec le rap, avec une des premières cassettes que m’a donné ma sœur. Il y avait Push it de Salt & Peppa, et j’ai l’impression de n’avoir jamais vraiment changer de cap. J’ai découvert ensuite les musiques que samplait le rap, et grâce à des gens comme Master At Work, qui faisaient des disques hip-hop et house, ou Rockers Hi-Fi, je me suis échappé et ouvert à la musique électronique.

 

*C’est difficile de s’échapper du rap ?

Ce n’est pas un créneau dans lequel les gens sont très sympas. En tant que blanc et jeune dj de groupe de rap, ça n’a pas été facile, jusqu’au moment où j’étais devant les platines et que je commençais à scratcher ! C’est plus cool dans la techno, où quand tu apportes une influence différente on t’accueille à bras ouverts. Mais je n’ai jamais lâché le rap, c’est une musique que j’affectionne énormément.

 

« Je trouve que Analog worms attack est un album fondamental
et j’ai décidé de changer de nom à ce moment-là, pour commencer fresh ! »

*Tu produits ta propre musique depuis combien de temps ?

Je fais de la production depuis 97/98, j’ai travaillé avec M. Oizo, et j’ai sorti un premier disque en 2001 sur le label B-Pitch Control. Ensuite, j’ai commencé à faire de la musique avec Uffie, qui était ma copine à l’époque. Pedro (Winter, le patron du label Ed Banger. – ndlr) qui était mon pote depuis un moment, a écouté, il a adoré et il a décidé de sortir ce disque. J’ai aussi sorti des disques en nom propre sur Ed Banger, et il y a l’album d’Uffie à venir, pour ma part c’est terminé, elle bosse actuellement avec d’autres producteurs pour le finir.

 

*Tu as produit tout l’album ?

Non, j’ai produit, comme d’habitude, moitié-moitié avec mon pote Oizo, et Uffie est en contact avec d’autres gens pour des sons, entre autre Mirwais.

 

*Tu es partie intégrante dans ce projet ?

J’étais totalement dans ce projet, puis on s’est séparé avec Uffie, elle a voulu rencontrer des gens de son côté, trouver d’autres influences… à partir du moment où il y a eu une séparation amoureuse, il y a eu une séparation de tous les côtés.

 

*Ça n’est pas trop difficile à gérer…

C’était très dur à gérer, mais on a réussi à utiliser la douleur pour quelque chose de créatif. Il y a eu une période de vide total, puis c’est revenu et on a réussi à faire des choses intéressantes.

 

*Le morceau Pop the glock est un classique aujourd’hui, non ? Tu as cette impression ?

J’espère car ils ont décidé de le ressortir sur l’album. Je n’étais pas très chaud au début, en même temps ils ont réalisé une vidéo qui est très belle, et je crois qu’il va y avoir un remix de Mirwais, en tout cas ce sera sur l’album… C’est stratégique, ce n’est plus vraiment mon problème.

 

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*D’un titre que tu composes avec ta copine, c’est devenu un hit, comment tu l’as vécu ?

Si c’est vraiment un hit, on le saura… c’est vrai qu’il y a une petite magie qui s’opère avec ce morceau. Personnellement je n’ai jamais été attiré par ce truc de hit, je suis touché par toutes sortes de musique, et parfois même très mainstream, mais j’ai toujours compliqué les choses pour mon son, j’ai peut-être ce côté immature de faire de la musique qui ne plaît pas à ses parents !

Pour Pop the glock, je n’étais pas tout seul, il y avait Uffie et un pote à moi, ingénieur du son, qui m’a donné un coup de main, et effectivement il y a un truc qui s’est passé, mais ce n’était pas forcément l’ambition première de ce morceau.

 

*Tu travailles souvent avec des gens…

Non, pas assez… aujourd’hui Paris ça n’est pas comme Berlin. Chacun est un peu dans son délire, les gens gardent leurs trucs pour eux, il n’y a pas ce partage qu’il me semble y avoir à Berlin, c’est un peu dommage.

 

*C’est assez français comme démarche, non ?

Oui, et d’essayer d’être un peu plus haut que les autres aussi, il y a ce truc un peu dur à Paris, mais c’est aussi une réalité artistique intéressante, il y a une émulation, un peu de compétition… ce n’est pas si mal.

 

*Ton nom est apparu avec celui de Oizo, tu avais fait quoi avant ?

Avant, j’avais un autre nom de dj, que j’ai souhaité changer parce que j’avais fait des projets embarrassants… (sourire.) Non, pas vraiment embarrassants, juste que je ne voulais pas les garder sur mon Cv. J’ai fait des tonnes de tournées avec des groupes, j’ai fait beaucoup de choses sous d’autres noms.

 

*Avec qui ?!

J’ai été un peu avec ATK, Kenny Boss, Triptik… la connexion rap français ou comment se débrouiller en tant que jeune dj et producteur à Paris !

 

*Tu as fait des morceaux pour ATK ?!

Non, j’étais Dj, par contre mon pote Tacteel faisait des morceaux pour eux. Pour revenir à Oizo, je l’ai connu quelques années avant tout ça, on est devenu de suite ami. J’ai toujours adoré sa musique et quand il a fait son album, j’étais toujours dans le studio, à apporter deux / trois trucs. Je trouve que Analog worms attack est un album fondamental et j’ai décidé de changer de nom à ce moment-là, pour commencer fresh !

 

« La musique c’est de la culture, la culture pour moi, c’est un truc qui t’élève de ta vie de merde,
moi y compris, je suis content qu’on puisse tous y avoir accès… »

 

*Qu’est-ce que tu penses des films de Oizo, de son univers ?

Je trouve que Quentin (Monsieur Oizo – ndlr) est un artiste immense, un génie, et comme tous les génies, de temps en temps ça se plante. Il y a des morceaux ou des films dans lesquels il y a des choses que je n’adore pas, mais c’est quand même l’un de mes artistes préférés au monde, et je crois à ce mec comme personne !

 

*À quand l’album Feadz/Oizo ?

Je ne suis pas sûr que cette démarche l’intéresse… On en a fait l’expérience, je lui ai demandé de participer sur le projet Uffie, et il y a des choses qui ne lui ont pas plu dans cette aventure, la manière dont ça nous a échappé entre autre, je crois que pour l’instant ce n’est pas d’actualité.

 

*À quel moment la musique devient ta vie, comment ça se passe ?

Mes deux parents sont professeurs, et j’ai eu beaucoup de mal à l’école. Je n’étais pas dans mon élément, et j’ai toujours senti qu’ils attendaient beaucoup de moi. Grâce à un mec comme Oizo, qui lui a réussi assez vite à gagner pas mal de fric avec la musique, je me suis dit : « Allez je me lance, si je vis comme un clochard toute ma vie, au moins je ferais ce qui m’intéresse… », et je me suis lancé.

C’était un choix, mais aussi une rupture. J’avais changé d’université plusieurs fois, je ne faisais rien d’intéressant, il me manquait toujours un truc pour avoir un diplôme… J’ai bien fait, j’aurai même dû le faire avant. C’est toujours la passion qui a dirigé ma vie, il n’y a jamais vraiment eu de choix. Je viens d’avoir trente ans, je regarde autour de moi et je vois que les gens construisent des carrières, ont des ambitions… ce n’est plus du tout comme avant.

Quand j’avais 14 ans, que j’étais passionné de musique et que j’économisais pour acheter des disques, les musiciens qui étaient autour de moi ne vivaient pas comme des rois, ils n’avaient pas une thune. J’étais proche de la Malka Family ou des dj’s de Nova, ce n’était pas facile ; les choses ont énormément évolué, et je suis content de faire partie de la donne.

 

*Sur ta page Myspace, dans tes influences tu cites ton père…

Euh… oui, j’ai mis ça pour qu’il ait de la visite sur son site Internet ! Mon père est peintre et c’est une influence dans le sens où c’est quelqu’un qui a été prof toute sa vie, donc qui avait une énorme liberté dans l’art. Moi, à un moment, je me suis senti rattrapé par ce truc : tu fais un disque, le fait que tu le trouves bien est une chose, mais est-ce qu’il va intéresser d’autres gens ? Est-ce qu’il va se vendre ?

Je suis tombé dans un engrenage et je me suis dit : « c’est du boulot… » Mon père est une influence dans le sens liberté de création, avec la volonté ne pas dépendre de sa peinture… Je ne pense pas avoir été complètement tributaire de ma musique, je n’ai jamais essayé de faire de hits, j’ai toujours été attiré par des trucs qui ne plaisaient à personne quelque part !

 

 

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*La musique, c’est du talent ou du travail ?

C’est le talent je crois, il y a des mecs qui font des bons morceaux en vingt minutes, d’autres font des morceaux moyens en bossant quatre mois dessus. J’ai la chance d’avoir fait quelques très bons morceaux, à mon avis, qui vieillissent bien, ce qui m’encourage à me dire que je ne suis pas complètement nul, donc je travaille beaucoup… Mais je suis souvent face à l’échec, comme tout le monde, et face à mon ordinateur à galérer !

 

*Tu crois au talent ou au travail ?

Je crois au talent, mais je crois au goût surtout ! Si tu as des goûts un peu aiguisés, que tu sais où tu vas, que tu sais ce qui t’a marqué étant enfant, que tes ambitions ce n’est pas de copier Justice par exemple, je crois que tu peux y arriver avec du travail… et tu n’es pas à l’abri de la chance et de la magie ! Le facteur chance, le facteur magique et surtout les accidents dans la musique, c’est extrêmement important.

Il n’y a pas un seul morceau que j’ai fait où j’ai tout décidé de A à Z, il y a toujours une part aléatoire, c’est magique, j’y crois. La musique pour moi, c’est le résultat d’expérimentations et d’accidents, c’est ça qui rend les choses intéressantes, c’est hors de l’humain.

 

*Comment tu vis l’évolution de la musique, Internet… ?

Je trouve que ça a changé complètement la donne. Il y a un moment, c’était quand même chouette, mais peut-être pas pour tout le monde, d’essayer de ne rien rater, d’être tout le temps dans le magasin de disques, d’être sûr de pouvoir se payer certains disques car tu savais que deux semaines plus tard tu ne les retrouverais plus jamais de ta vie.

C’était particulier, les dj’s passaient un temps fou pour trouver des bombes, il y avait un truc extrêmement chouette là-dedans. Maintenant, quand j’ai un bon track, je le mets en soirée et Pedro me demande ce que c’est, et le lendemain je suis obligé de le lui donner ! C’est un sacré boulot aujourd’hui, en plus tout est gratuit, il y a une démocratisation de ce que jouent les djs, les mecs regardent les playlists de Too Many Dj’s ou de Erol Arkan et hop, ils font la même chose !

En même temps je trouve ça vraiment chouette que tout le monde puisse avoir de la musique gratuite. La musique c’est de la culture, la culture pour moi, c’est un truc qui t’élève de ta vie de merde, moi y compris, je suis content qu’on puisse tous y avoir accès, je trouve ça génial. Par contre je trouve assez triste la démocratisation de la musique que les dj’s jouent.

 

*Les mecs qui produisent de la musique font la différence aujourd’hui en dj set…

Oui, ils peuvent jouer leurs morceaux, leurs inédits, des edits qu’ils ont faits… J’ai un fond de commerce là-dessus, car j’ai pas mal d’inédits de mes potes, de beats que j’ai réédités.

 

*Comment tu t’es retrouvé sur le label B-Pitch Control ?

J’étais complètement fan de leur musique, j’achetais tous les disques qui sortaient, j’étais à bloc ! J’ai vraiment fait mon premier disque avec ma Mpc en me disant : « Je vais faire de la musique pour Ellen Allien (B-Pitch Control est son label – ndlr.), et j’espère qu’elle la prendra… », et j’ai eu de la chance, elle l’a prise… La nana a cru en moi et j’ai toujours de très bon rapport avec B-Pitch. C’est devenu plus minimal qu’à l’époque, c’est un peu moins ma came, mais ça reste un très bon label de musique électronique.

 

*Tu es signé sur Ed Banger, c’est facile de trouver sa place dans une telle écurie ?

Au-delà du succès de Justice qui peut faire flipper quand tu es un jeune producteur, il y a ce truc de côtoyer des gens qui font de la bonne musique, et Pedro est un mec chouette, plein de bonne volonté, qui te met en confiance. Je le connais depuis longtemps, dès que j’ai sorti mes premiers disques, il trouvait ma musique bonne, ce qui m’a motivé à continuer.

 

*Tu as besoin d’être motivé, sollicité ?

Je crois que l’on a tous besoin de ça, ou alors tu utilises autres choses, la haine et la solitude pour créer tes trucs dans ton coin, ça peut marcher, il faut tout utiliser !

 

*Tu utilises quoi toi ?

Moi j’utilise pas mal l’amour quand même !

 

 

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